Eux, les S.T.O.
de Jean-Pierre Vittori

critiqué par Fanou03, le 6 mars 2014
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
un ouvrage éclairant sur les travailleurs forcés
La déportation des travailleurs pour le compte des usines du IIIème Reich est un épisode mal connu de la seconde guerre mondiale, qui, en France, concerna pourtant peu ou prou environ 700 000 personnes. Phénomène douloureux et complexe, il est encore l’objet de nombreux amalgames et de jugements simplificateurs. L’ouvrage de Jean-Pierre Vittori se propose donc d’éclairer, à la lumière de documents d’archive et de nombreux témoignages, les différentes formes de déportation de travail qui ont pu être mises en place et la façon dont les individus concernés l'ont vécu.

Car c’est l’un des premiers enseignements que l’on tire du livre (dont le titre est paradoxalement réducteur) : si le Service du Travail Obligatoire (STO) est la forme de déportation pour le travail la plus connue et la plus systématique, elle fut précédée de plusieurs vagues de déportation, dès la fin de 1940, aux statuts juridiques différents, à l’impact plus ou moins fort, et dans lesquelles le gouvernement de Vichy fut plus ou moins impliqués.

A ce titre le livre montre bien de façon nuancée toute la chaîne de responsabilité qui a conduit à envoyer plusieurs centaines de milliers d’hommes pour travailler en Allemagne. Pressions économiques, familiales, administratives, implications de l’administration française (police et inspection du travail notamment), il n’était pas facile d’échapper, au moins avant fin 1943, à l’étau mis en œuvre par les autorités allemandes et françaises.

La description de la vie des travailleurs en Allemagne, traitée dans la deuxième partie du livre montre que les conditions de vie étaient à l’opposé de celles décrites - et vantées - par la propagande.

L’approche de Vittori se situe à mi-chemin entre une étude historique et le travail de journaliste. L'ouvrage s'appuie en effet aussi bien sur des éléments très bien documentés que sur presque sept cents questionnaires (et une centaine d'entretiens directs), que l'auteur a recueilli auprès de travailleurs forcés, travailleurs qui étaient encore pour la plupart encore vivants en 1982 à l'époque de la rédaction du livre.

Certes les conclusions qu'on peut faire à partir des questionnaires et des entretiens sont à manier avec prudence (l'auteur d'ailleurs le reconnaît lui-même), car l'échantillonnage est finalement assez faible au regard des centaines de milliers d'hommes concernés. Ces témoignages donnent cependant une vision particulièrement vivante et sans doute malgré tout assez représentative du vécu des principaux concernés.

Bien que quelques passages du livre manquent de clarté, l'ouvrage dans son ensemble est bien structuré, riche en notes et en annexes. Vittori offre là une synthèse très humaine et pleine d'humilité sur un sujet difficile. Il se montre prudent dans ses assertions et apporte toutes les nuances possibles à la complexité de cette sombre page de notre histoire.