L'impérialisme, le spectre du XXe siècle
de Shūsui Kōtoku

critiqué par Cyclo, le 2 mars 2014
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Sévère critique du nationalisme, du militarisme et de l'impérialisme
Paru en 1901 au Japon, cette "charge au vitriol contre les nationalistes de l'ère Meiji" (l'éditeur dixit) s'attira les foudres de la censure... L'ouvrage ne reparut qu'en 1952. Shûsui Kôtoku était un journaliste qu'on qualifierait aujourd'hui de gauchiste, et son essai est une brillante démonstration des ravages du patriotisme imbécile, qui associé au militarisme forcené et à l'impérialisme, allait faire les malheurs du Japon pendant la guerre. Ce socialiste, puis anarchiste japonais fut condamné à mort en 1910 dans l'affaire dit du « crime de lèse-majesté » et exécuté à l'issue d'un procès inique et truqué (voir le beau documentaire "Écho d'il y a cent ans", de Tomiko Fijiwara (2013), destiné, comme souvent dans ces cas-là, à faire peur à d'autres qui seraient tentés d'avoir les mêmes idées. Mort pour l'exemple, en quelque sorte : tiens, comme les mutins et déserteurs de la Grande Guerre.
Dans son livre, Kôtoku dénonce la chaîne qui conduit du patriotisme (devenant fanatique, comme le montrera la suite des événements, en particulier dans les années 30 et 40) au militarisme acharné, puis à l'impérialisme expansionniste, corollaire des deux précédents. Il démontre l'improductivité de l'armée : "Ni l'armement, ni le service militaire ne produisent une once de riz, pas le moindre sen. Non seulement ils n'apportent la moindre contribution ni à la science, ni aux arts, ni à la littérature, encore moins à la morale ou à la religion, mais ils sont nuisibles à tous." Et surtout il révèle la manière d'assujettissement dont l'armée use pour mutiler les qualités les plus humaines : "le monde de l'armée et de la marine est celui de l'oppression, du pouvoir, de la hiérarchie, de la soumission, un monde qui ne laisse pénétrer ni la morale, ni aucune vertu." Au moment où l'on veut fêter en grande pompe la grande boucherie de 1914-1918, il n'est pas inutile de le rappeler.
Comment ne pas voir que ce qu'il exposait en ce tout début du XXe siècle a pris une ampleur nouvelle pendant toutes ces cent dernières années : "le contraste grandissant entre la pauvreté et la richesse dans les pays occidentaux, l'accumulation de plus en plus importante de la richesse et des capitaux aux mains d'une minorité, l'extrême amenuisement du pouvoir d'achat de la majorité des populations, tout ceci n'est rien que la conséquence du système actuel de la libre concurrence, et ne peut être attribué qu'au monopole des profits exceptionnels qu'en tirent les capitalistes", écrivait-il déjà : on croirait que c'est écrit aujourd'hui. Et il plaidait pour un nouveau monde qui, hélas, n'est pas advenu : "Ah ! Le nouveau monde à venir du vingtième siècle ! Comment pourrions-nous l'améliorer ? Je souhaite la paix dans le monde, mais l'impérialisme la perturbe. Je souhaite l'élévation générale de la morale dans la société, mais l'impérialisme est un fossoyeur de ses principes. Je souhaite la liberté et l'égalité, mais l'impérialisme les érode chaque jour. Je souhaite la justice dans la distribution de la production, mais l'impérialisme n'encourage que l'inégalité. Rien ne menace davantage la civilisation que l'impérialisme." La paix, la liberté, l'égalité, la justice, la morale, sont plus que jamais malmenées, essentiellement d'ailleurs par les gens qui nous dirigent – et que nous avons la bêtise d'élire, voire de réélire.
Substantielle préface de la traductrice. Un livre à lire avant de voter !