L'aguayo
de Andrée Laberge

critiqué par Libris québécis, le 2 mars 2014
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Bolivie
Avec son roman, Andrée Laberge nous emmène en Bolivie, un pays qu’elle décrit avec amour. Nous y rencontrons des femmes coiffées d’un chapeau rond en cuir et emmitouflées dans une couverture bigarrée que l’on appelle aguayo. L’extrême pauvreté représente leur dénominateur commun. À l’instar des personnages de Jean Raymond dans Le Roi de l’ordure, elles trient des détritus pour subsister. Et comme l’héroïne de ce roman, certaines s’en tirent mieux si elles consentent de vendre leur virginité à ceux qui exploitent les richesses du sous-sol bolivien.

Maria, une métisse ravissante, a justement refusé l’invitation d’Antonio, le patron d’un grand hôtel, de joindre la cohorte des pucelles appelées à satisfaire des étrangers ou des notables qui complètent leurs opérations d’affaires en salissant celles que la misère a rendues vulnérables. Élevée par des religieuses dans un orphelinat, la jeune Bolivienne s’est déniché un emploi de ménagère à cet hôtel grâce à la recommandation de la supérieure, toutes les deux ignorant le droit de cuissage assorti aux tâches hôtelières. Maria n’est pas femme à s’en laisser imposer, même par son patron. Le vieux « porc » l’apprendra à ses dépens.

Au contact des religieuses, l’héroïne a développé un goût pour la lecture et l’écriture, qui lui sert maintenant de viatiques contre la lâcheté des hommes. Et c’est ironiquement parmi les clients de l’hôtel qu’elle va trouver un allié en la personne d’Alcides, un natif de la Bolivie, de retour dans son pays pour remettre sur pied une mine d’étain désaffectée, passée aux mains d’une entreprise du Canada. Il parachève son instruction en lui prêtant les recueils de poèmes qu’il a apportés avec lui, en plus de lui fournir crayons et papier pour que, le soir venu, elle puisse raconter le sort réservé aux femmes de sa caste. Cette approche toute littéraire vise quand même à séduire Maria, intéressée de toute façon par cet Adonis, heureusement honnête. Pour prouver ses bonnes intentions, il lui propose même de l’emmener à Montréal à son retour.

L’Aguayo est une œuvre à deux voix. Maria, comme narratrice, clame ses misères tandis que Charles, le collègue d’Alcides, condamne la convivialité empreinte de sensualité, source de tous les malheurs. Leurs chants s’harmonisent pour dénoncer brillamment ce qui brise les âmes. Ce roman d’une brûlante urgence est captivant, instructif, bien ficelé et écrit avec maîtrise. Bref, Andrée Laberge lève le voile sur la réalité bolivienne.