La belle Roumaine
de Dumitru Tsepeneag

critiqué par Pucksimberg, le 23 février 2014
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
"La vie ne doit pas être un roman qui nous a été donné, mais un roman que nous avons fait nous-mêmes." ( Novalis )
Anna, ou Hannah, est le centre de gravité de ce roman. Cette femme protéiforme attire le regard des hommes et intrigue car tout en se montrant loquace elle sait garder une grande part de mystère. Sensuelle et charnelle, elle s'offre facilement tout en ne donnant rien. Quand Jean-Jacques la voit débarquer dans son bistrot, il est subjugué par la beauté de cette roumaine, insaisissable. Anna raconte à ses divers interlocuteurs son histoire, elle se raconte, tout en inventant des épisodes. Les hommes qu'elle côtoie ont tous une image différente d'elle car elle ne cesse de se recréer. Infirmière, espionne, prostituée, femme fragile ou femme forte, Anna change de costume. Jean- Jacques, le responsable du bistrot, le russe Iegor, les deux intellectuels allemands, Mihai cet homme qu'elle attend, ce peintre dur et exigeant sont autant d'interlocuteurs qui permettront à Anna de donner naissance à de multiples identités.

Ce roman brouille les pistes et le lecteur doit aller au-delà de la simple histoire narrée. J'ai lu de nombreuses critiques négatives sur ce roman en lien avec la déception des lecteurs qui n'ont pas réussi à identifier clairement cette femme. Mais n'est-ce pas le but de ce roman ? Cette femme mythomane se réinvente constamment, serait-il logique de faire tomber le/les masque(s) ? N'est-elle pas aussi tout simplement un reflet de l'écrivain qui invente des univers ? Est-on vraiment certain qu'il n'y a qu'une seule Anna ? De nombreux personnages la confondent. Il y a souvent cet effet de miroir : cette femme ressemble à la comédienne Elvire Popesco, les lettres mêmes du prénom de l'héroïne semblent se refléter ( Han/nah, An/na ), les deux intellectuels se ressemblent aussi énormément et iront jusqu'à partager la même femme, les rêves et la réalité s'entremêlent ... Ces rêves prémonitoires qui semblent plus vrais que le réel nous invitent à nous interroger sur ce point.

Les êtres humains façonnent leur existence comme le fait ce personnage féminin. L'on a vite l'impression d'être le personnage de notre vie et cette Anna, être de papier, pourrait avoir la même consistance qu'un être de sang.

Ce roman, d'apparence simple, est construit, rappelle parfois le puzzle et permet de goûter aux inventions de Tsepeneag, grand auteur ayant appartenu au courant de l'onirisme, mouvement littéraire roumain qui a osé contrer le réalisme socialiste officiel. Les rêves sont omniprésents et évocateurs, l'auteur joue avec certains symboles comme cette cage dans laquelle est enfermé un aigle, propose un roman sensuel et intime, tout en brouillant parfois les pistes.