Du front à l'asile, 1914-1918
de Hervé Guillemain, Stéphane Tison

critiqué par JulesRomans, le 1 juin 2014
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Du torpillage et d'autres méthodes thérapeutiques pour les névroses de guerre
"Du front à l’asile 1914-1918" évoque des hommes soit déjà connus tel Eugène Bouret, vigneron de la Côte-d’Or mort dans les Vosges en octobre 1914, parce qu’il a eu une réhabilitation parmi les fusillés pour l’exemple ou Baptiste Deschamps (né à Smarves près de Poitiers) car son refus du torpillage fin mai 1916 donne lieu à des débats dès l’époque, soit des soldats qui sont passés par les asiles du Mans, d’Alençon et de Mayenne. Dans ce dernier cas il s’agit d’appelés originaires généralement de la Sarthe, la Mayenne, l’Orne, l’Eure-et-Loir et de la Seine.

L’ouvrage monte que l’idée chez les médecins français de la Belle Époque est plutôt, d’après les travaux de Ludger Lunier autour des conséquences de la Guerre de 1870, que la guerre suspend les maladies, elle aurait presque une action thérapeutique. Toutefois des médecins exerçant en Russie ont tenu un discours différent en s’appuyant sur les constatations de malades dans des asiles qui avaient servi durant la Guerre russo-japonaise. Paul Jacoby, médecin à l’asile d’Orel, est l’auteur d’un texte où il écrit :

« La guerre moderne n’est plus un combat plus ou moins personnel, à l’idée duquel nous sommes faits depuis des siècles, c’est actuellement une sorte de boucherie industrielle à procédés perfectionnés. Le danger, la mort même se présentent maintenant sous des formes nouvelles, étranges, auxquelles notre psychologie ne s’est pas faite, dont elle n’a pas pris son parti. Un cuirassé qui, en moins de deux minutes, entraîne au fond de la mer tout son équipage, 800 personnes ; un combat d’artillerie, où 104 chevaux sur 107 sont tués ; un assaut où tous les assaillants jusqu’au dernier tombent pour ne plus se relever (…) tout cela nous fait l’impression plutôt d’une catastrophe cosmique (…) et l’on sait à quels points sont nombreux les cas de troubles nerveux et mental par suite de catastrophes ».

L’ouvrage cite aussi des pages écrites par des soldats et en particulier des textes inspirés du journal tenu par Paul Lintier dont ce dernier tire deux recueils. Le premier est intitulé "Ma pièce, souvenirs d’un canonnier 1914" et le second "Le tube 1233, souvenirs d’un chef de pièce 1915-1916". Les deux recueils ont été récemment republiés sous le titre suivant "Avec une batterie de 75 : 1914-1916" chez B. Giovanangeli. Paul Lintier est le fils d’un des maires de la ville de Mayenne et il a été lycéen à Laval.

Hervé Guillemain et Stéphane Tisseron nous livrent là un livre capital pour bien comprendre l’évolution de la psychiatrie en général d’un côté et par ailleurs connaître les réactions des médecins à l’encontre des obusés puis les traitements préconisés. On rejette un certain nombre d’idées et en particulier définitivement l’explication que l’hystérie est d’origine lésionnelle. Par ailleurs l’ouvrage s’intéresse au vécu dans l’Entre-deux-guerres des malades qui sont d’anciens poilus traumatisés. Un index biographique présente en une douzaine de mots les médecins les plus connus qui se sont intéressés à la question des traumatisés de guerre sur l’ensemble de l’hexagone.

Sur ce sujet étaient déjà parus les deux titres suivants "Laurent Tatu; Julien Bogousslavsky. La Folie au front : la grande bataille des névroses de guerre (1914-1918)" chez Imago en 2012 et assez antérieurement "Les médecins dans la Grande Guerre 1914-1918" un travail plus généraliste mené par Sophie Delaporte chez Bayard en 2003. Par ailleurs on peut signaler que par rapport aux traumatismes dus à la guerre en Afghanistan est sorti récemment un roman pour adolescents "La blessure invisible de mon père" de Claudine Paquet et Annick Gaudreault (ouvrage présenté sur ce site).