La diaspora des Desrosiers, tome 7 : Les clefs du Paradise
de Michel Tremblay

critiqué par Dirlandaise, le 18 février 2014
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
Quand Édouard devient la Duchesse
Le roman est avant tout consacré au personnage d’Édouard, ce gros garçon timide qui, pour réussir à affronter le monde et ses vicissitudes, se coule dans le personnage de la duchesse de Langeais de Balzac.

L’histoire se passe en 1930 dans un quartier ouvrier francophone de Montréal autrement dit chez les pauvres gens, ceux qui doivent lutter au quotidien afin d'assurer la survie de leur famille et leur procurer l’essentiel. Édouard, le fils de Victoire et Télesphore, est maintenant âgé de dix-sept ans. Il fait son entrée sur le marché du travail en décrochant un emploi de vendeur de chaussures qui lui permettra d’aider sa mère financièrement avec les quelques dollars qu’il apportera à la maison et qui feront une différence appréciable pour Victoire qui est obligée, en plus de son travail de femme au foyer, d’abattre le travail de son mari paresseux et alcoolique négligeant ses obligations de concierge. Mais ce tournant majeur dans la vie d’Édouard lui apportera aussi la confirmation de son statut de « vieux garçon », un terme utilisé par les gens pour désigner les homosexuels, ceux qui ne se marieront jamais. Le jeune homme fait donc son entrée au « Paradise », un club de nuit dont une section est réservée à ses semblables.

Nous retrouvons aussi les personnages récurrents dans la saga de la famille Desrosiers : les trois sœurs Maria, Teena et Tittite, Josaphat le Violon, Ti-Lou et quelques autres.

J’ai tellement vanté les talents d’écriture de Michel Tremblay, son génie, sa simplicité, son don de faire vivre des personnages plus vrais que nature, sa propension à écrire les vrais affaires, sa remarquable capacité d’analyse d’un milieu financièrement défavorisé mais humainement très riche. On s’aime, on se déchire, on s’entraide, on se déteste, on se réconcilie, on potine sur les uns et les autres, les femmes jouent aux cartes, les hommes vont oublier la dure réalité à la taverne et les jeunes filles adolescentes rêvent du prince charmant qui viendra les sortir de ce milieu déprimant qui ne parvient pas à leur donner ce à quoi elles aspirent dans la vie.

C’est beau et cela va droit au cœur. Les dernières lignes du livre sont très émouvantes, toutes simples et d’une grande beauté. Encore une fois, merci monsieur Tremblay pour ce bonheur que vous distillez à chaque page et pour cette histoire si touchante et vraie d’une famille francophone dont les membres peu instruits affrontent le monde avec ce qu’ils possèdent le plus : le courage et la détermination.

« J’veux pas que vous preniez ça pour une critique, c’en est pas une, c’est juste une constatation, mais j’me disais… C’est-tu juste ça que la vie a à m’offrir, à nous offrir ? C’tait-tu ça notre rêve ? Pensez pas que chus malheureuse, je le suis pas… Chus pas malheureuse, on dirait juste qu’y me manque quequ’chose, j’sais pas quoi, qu’y a quequ’chose que j’ai pas faite ou qui m’est pas arrivé. Ça vous arrive pas, vous autres, d’avoir l’impression… de pas être complètes ? J’sais pas si c’est le bon mot. Des fois j’me regarde dans le miroir pis j’me dis que la femme qui est en face de moi a peut-être connu des choses que j’ai pas connues… des aventures, c’est ça que je veux dire, des aventures… »