Un jour de guerre vu des étoiles / Un día de guerra (Visión estelar)
de Ramón del Valle-Inclán

critiqué par JulesRomans, le 21 juin 2014
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Des jours de guerre vus au filtre des étoiles d'un général français
"Un jour de guerre vu des étoiles" est certes le récit d’un témoin d’un pays neutre (l’Espagne) sur le front occidental côté français, mais c’est un plaidoyer en faveur des Alliés.

Il est bon de noter que ce voyage se fait sous la houlette de la Maison de la presse (organisme de propagande du gouvernement français qui existe entre 1915 et 1917) et sous la plume d’un écrivain qui se rattache au courant républicain espagnol intrinsèquement favorable à la France et s’opposant sur ce point (comme sur d’autres) aux monarchistes d’outre-Pyrénées qui soutiennent globalement les Puissances centrales. Peut-être faut-il d’ailleurs sentir dans certains aspects de ce discours pro-français et anti-allemand des allusions à son opposition un système monarchique espagnol à bout de souffle.

Il faut donc voir dans "Un jour de guerre vu des étoiles", paru au départ en feuilleton dans "El impartial" d’octobre 1916, non seulement des faits rapportés par l’auteur avec sa grille de lecture faite d’a priori mais aussi parfois une reprise sans aucun regard critique de pans entiers de la propagande française.

« Dès le premier chapitre, Valle-Inclán fait de la Grande Guerre un affrontement épique entre le Latin et le Germain, qui est en réalité celui de la Civilisation à la Barbarie » (page 18)

Toutefois le côté d’hécatombe qu’a pris ce conflit n’est pas masqué par l’auteur d’"Un jour de guerre vu des étoiles":

« Depuis les forêts montagneuses d’Alsace jusqu’à la côte sauvage de la mer du Nord, deux armées se guettent, tapies dans les fossés de leurs retranchements qui empestent la mort comme la cage aux hyènes. Le Français, descendant de la louve latine, et le barbare Germain, bâtard étranger à toute tradition, sont à nouveau en guerre. (…) Ils sont des centaines de milliers, et seuls les yeux des étoiles peuvent les voir combattre en même temps aux deux extrémités d’une si longue ligne, pleine à toute heure des éclairs de la poudre, le tonnerre du canon roulant à travers le ciel » (page 51)

Notons qu’il a déjà bien situé dans ce qui appartient aux quinze premières lignes vers quel camp vont ses sympathies. Sa reprise des clichés de la propagande alliée se fait ponctuellement mais régulièrement, ainsi écrit-il tout d’abord au sujet des soldats allemands, puis après sur le compte des poilus ceci :

« (…) ces soldats bornés et brutaux qui chantent comme des sauvages, qui vont ivres au combat, qui tolèrent le fouet des officiers, qui sont esclaves dans un pays où il y a encore des castes et des rois ! Pour les soldats français, le sentiment de la dignité humaine s’enracine dans la haine des hiérarchies : "La Marseillaise" les émeut aux larmes, et ils ont de leurs vieilles révolutions l’image sentimentale d’un mélodrame presque oublié, où les traitres sont toujours des princes et des rois ». (page 119)

L’illustration choisie spécifiquement pour cette édition couvre huit pages. Elle est très intéressante : photographies d’époque, tableaux de peintres de l’armée dont une de l’Anglais Paul Nash, une peinture de Félix Valloton et une d’Henri de Groux, un jouet en bois… Le voyage se fait en 1916 et c’est essentiellement le front de Champagne et de la Lorraine occidentale qui est évoqué. Bien entendu on insiste sur la destruction des églises et en particulier sur la cathédrale de Reims (au sujet de cette dernière, voir pages 177 à 181).

L’ouvrage est bilingue, aussi il gagnerait à être acheté par des centres de documentation de collèges et lycées parmi les titres qui permettent de se faire une idée du contenu de la propagande en direction des pays neutres durant la Première Guerre mondiale.