Mourir pour la patrie : Shinichi Higa, soldat de deuxième classe de l'armée impériale
de Akira Yoshimura

critiqué par TRIEB, le 8 février 2014
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans)


La note:  étoiles
SACRIFICE INUTILE
Les récits de guerre peuvent refléter fidèlement l’état d’esprit des combattants décrits dans ce type de texte. C’est assurément le cas avec Mourir pour la patrie d’Akira Yoshimura. Ce roman se déroule lors de la bataille d’Okinawa, intervenue entre le 1er avril 1945 et le 21 juin de cette même année. Un jeune collégien japonais, Higa Shinichi, est enrôlé dans le bataillon de la première école secondaire d’Okinawa. Pourtant, ce jeune garçon, patriote jusqu’au bout des ongles, est déçu : il n’est pas affecté dans une unité combattante, mais dans un service de secours et d’évacuation des blessés. Son souhait le plus cher est de mourir en soldat japonais : dans l’honneur et par le sacrifice pour le « pays des dieux ».
Ainsi éprouve-t-il face aux événements ordinaires de la guerre des sentiments d’attirance : « De multiples fusées éclairantes retombaient en se balançant comme des tentacules de méduse dans le ciel au-dessus de la zone ciblée. Les flammes rouges qui montaient de la terre lui firent penser à l’éclat des torches d’une immense armée qui avancerait dans la nuit. Il observa avec ravissement ce spectacle nocturne. »
Shinichi éprouve également un regret, très furtif, de ne pouvoir comme ses camarades combattants, en songeant aux circonstances éventuelles de sa mort, peu conforme à son code de l’honneur : « La seule chance qu’il avait de mourir était d’être fauché par un obus, mort qu’il n’aurait pas choisie. Il était en colère. Il ne pouvait se satisfaire d’être tenu ainsi à l’écart de la bataille. »
Par l’orientation de son roman, entièrement tourné vers le seul point de vue de ce jeune garçon candidat inconditionnel au sacrifice, l’auteur met bien en évidence les mécanismes qui ont produit ce genre d’attitude : l’absence du doute, le culte du nationalisme, la pulsion de mort. Il décrit, également, les circonstances de cette bataille d’Okinawa, cruelle, meurtrière, destructrice à l’excès. On éprouve, à la lecture de ces dernière un sentiment d’étrangeté face à l’attitude de Shinichi Higa, enfermé dans ses certitudes. L’intérêt de ce roman prend sa source dans l’insinuation de cette sensation dans l’esprit du lecteur.
enfant ou soldat ? 10 étoiles

Pendant la guerre entre le Japon et les États-Unis (1941-1945) la résistance du peuple japonais, groupé derrière son empereur considéré comme un dieu vivant, fut hors du commun. À l'approche de la défaite, qui sera scellée par les terribles bombardements nucléaires d'Hiroshima et Nagasaki, de sinistre mémoire, femmes et enfants se joignirent aux troupes militaires pour tenter de repousser un ennemi mettant en œuvre de gigantesques moyens matériels et humains. Dans ce roman très réaliste (âmes sensibles s'abstenir) Akira Yoshimura narre l'histoire de Shinichi, un collégien qui tient à tout prix à participer lui aussi à l'effort de guerre. Pendant la terrible conquête de l'île d'Okinawa, où plus d'une centaine de milliers de civils préférèrent se suicider plutôt que tomber aux mains de l'ennemi, il va parvenir à se faire enrôler dans une unité spéciale, appelée "Fer et Sang pour l'Empereur". Au fil des avancées de l'armée américaine, et des hécatombes qui accompagnent les bombardements de plus en plus intensifs, il va se trouver isolé et devoir errer d'abri en abri, jusqu'à la falaise terminale où le seul espoir de mourir dignement est de se jeter dans la mer. Le récit, volontairement dépouillé, laisse toute à sa place aux images de la guerre, peinte dans toute son horreur. On reste fasciné par le pouvoir des humains de dépasser leurs souffrances et d'affronter la mort avec fierté lorsqu'un idéal élevé les anime. Un témoignage qui tranche avec les innombrables récits de la guerre contre les "japs", vue du côté yankee, qui ont abreuvé notre culture occidentale.

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 6 mai 2017


Carnage à Okinawa 7 étoiles

En matière de carnage, la guerre 14 – 18, et notamment Verdun, fait matière de référence en Europe. La fin de la seconde guerre mondiale, dans le Pacifique, les dernières résistances japonaises aux Américains ne semblent pas mal non plus !
Akira Yoshimura nous raconte le passage de Shinichi Higa, élève dans le secondaire à Okinawa, de l’état d’écolier à celui de jeune soldat embrigadé en catastrophe avec ses camarades de classe dans les unités « Fer et Sang pour l’Empereur ». En catastrophe, mais la catastrophe est déjà bien entamée et proche de son terme.

« - Tous les élèves de l’école, à l’exception de ceux de première et de deuxième année, ont reçu leur ordre d’incorporation avant-hier, le 25 Mars 1945. Vous êtes à présent soldats de l’armée impériale, conne les autres élèves des écoles secondaires de la préfecture d’Okinawa qui forment les unités Fer et Sang pour l’Empereur. Aujourd’hui marque la création de l’unité Fer et Sang pour l’Empereur de l’école secondaire numéro un de la préfecture d’Okinawa, qui doit obéissance au généralissime ! lança–t–il d’une voix forte. »

Shinichi est déçu. Son unité côtoie le front – à vrai dire le front est partout puisque les Américains ont débarqué et prennent l’île en tenaille – mais elle est employée à des tâches non - combattantes : évacuation des blessés et agents de liaison. Ca devient pourtant tous les jours plus compliqué, plus atroce, et la vision de Shinichi des blessés devient peu à peu d’une insensibilité totale. Il faut dire que ce que Akira Yoshimura nous décrit est proprement inhumain, et pour les civils comme pour les soldats (pour autant qu’un garçon de 13 ans puisse être considéré comme un soldat !)
L’espace non occupé par les Américains se réduit comme peau de chagrin et voici finalement Shinichi dans la dernière poche non occupée dans un ultime bout de l’île. Ce sont suicides sur suicides, pour échapper à l’occupant, à la honte, l’indignité … Shinichi porte en permanence trois grenades sur lui, la dernière lui étant réservée pour ne pas tomber vivant aux mains de l’ennemi. La ferveur décrite est proprement effarante et on a bien du mal à la comprendre vue d’ici – enfin d’ici, en Europe, ou d’ici en 2015 ?
Le texte n’est que misères, morts, abominations. Un texte de guerre dans toute sa splendeur qui va se conclure pour ce qu’il peut y avoir de pire pour Shinichi ; il est fait prisonnier n’ayant pu actionner sa grenade.
Difficile de relever dans ce jusqu’au-boutisme vers la mort ce qui relève de l’époque ou ce qui relève de la culture japonaise. Cette ferveur nous demeure largement étrangère …

Tistou - - 68 ans - 22 juin 2015


l'humiliation. 6 étoiles

Publié en japonais en 1967, les éditions Actes Sud ressuscitent un roman en version française presque 50 ans plus tard.
Il est vrai que quand on publie Paul Auster, Nancy Huston et Siri Hustvedt c'est qu'on a sans conteste une disposition pour les textes riches !
Donc voici un roman qui traite de la guerre du côté des vaincus et c'est le point original de ce livre.

Shinichi est un "enfant soldat" enrôlé dans l'"unité fer et sang pour l'Empereur". Son rêve est de gagner l'honneur et le paradis des fiers combattants en tuant au moins dix américains.
Sa croisade sera une toute autre réalité, un autre chemin, la route de la honte.
Il faudra un parcours extraordinaire pour que ce petit guerrier désabusé se rende compte que la guerre opposait des hommes à d'autres hommes.
Qu'est ce que cette horreur pour lui qui n'a pas tiré un coup de feu, ni lancé une seule grenade, ni même subi la moindre blessure ? Rien, sinon une errance sur le champ de bataille.

Monocle - tournai - 64 ans - 29 octobre 2014


Un enfant soldat de 14 ans ... 7 étoiles

....dans l'enfer de la bataille d'Okinawa qui fut l'une des batailles majeures les plus meurtrières de la 2nde guerre mondiale.
C'est une page d'histoire que nous fait vivre ici Yoshimura, dans ce récit linéaire, réaliste, d'une écriture précise qui ne nous épargne rien des images atroces des souffrances endurées par les soldats japonais aussi bien que par les populations civiles, un récit dont la montée en puissance met le lecteur sous tension jusqu'à la fin.

Mais, au-delà de cet aspect document-choc, l'intérêt tient, comme l'a très bien mis en évidence Trieb, au fait que l'auteur a choisi de mettre nos pas dans ceux d'un jeune garçon, enrôlé fin mars 1945, avec tous les élèves de sa classe d'âge, dans les unités Fer et Sang pour l'Empereur. Nous le suivrons jusqu'à la fin des combats qui dureront jusqu'au 21 juin dans cette partie sud de l'île.
Shinichi Higa est l'incarnation de cette galvanisation des troupes japonaises, de cette détermination jusqu'auboutiste qui aura pour corollaire une mobilisation incroyable des forces américaines: près de 110 000 soldats japonais et presqu'autant de civils périront (contre environ 19 000 pertes dans les rangs américains) dans cet engrenage démentiel de l'extermination et du suicide.

Frustré de se voir utilisé avec ses camarades pour des missions (néanmoins très dangereuses) de ravitaillement ou de transport de blessés vers des "hôpitaux" de tranchées d'ailleurs bientôt saturés, Shinichi n'aura qu'une obsession, un seul désir: tuer des soldats ennemis, voire mourir en héros en se jetant sous leurs chars avec des explosifs sur le dos, comme ces éléments de troupes de choc juste un peu plus âgés que lui, et, au pire, si tel n'est pas le cas, utiliser la dernière grenade pour ne pas être capturé vivant. Quelles que soient les circonstances, surmontant ses peurs et les reculades de son corps, coupé de son unité dans le chaos de la débandade finale, ce garçon n'aura toujours dans sa ligne de mire qu'un seul objectif: rejoindre les troupes combattantes pour faire son devoir et mourir en héros. Même s'il découvre à un moment, avec une sorte de stupeur naïve, que derrière la notion abstraite de l'ennemi qu'on lui a transmise, celui-ci "était humain comme lui, (que)la guerre opposait des hommes à d'autres hommes", rien n'altèrera sa volonté farouche d'engagement.

Pour les occidentaux que nous sommes, cette plongée dans la culture nipponne du sacrifice héroïque au nom du patriotisme, encore plus prégnante, sans doute, dans le mental exalté de jeunes adolescents formatés par la propagande, se révèle à la fois fascinante, effarante et nous laisse bouleversés devant tant de gâchis et d'absurdité.

Myrco - village de l'Orne - 75 ans - 12 février 2014