La fille surexposée
de Valentine Goby

critiqué par TRIEB, le 8 février 2014
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 72 ans)


La note:  étoiles
L'EXOTISME DEMASQUE
Les éditions Alma ont choisi de faire illustrer les thèmes fondamentaux de l’art énoncés par Picasso dans La Tête d’Obsidienne : « la naissance, la grossesse, la souffrance, le meurtre, le couple, la mort, la révolte et peut-être le baiser ». Valentine Goby a opté pour la révolte, thème développé dans son ouvrage : « La fille surexposée ». Dans ce récit, l’auteure décrit le voyage d’une carte postale. Celle-ci passe des mains du photographe qui prend le cliché à une prostituée marocaine, pour finir dans les mains d’un soldat français qui l’achète dans une boutique de Casablanca, dans les années 40. Cette carte parvient enfin dans les mains de la petite-fille de ce militaire, à l’occasion d’une inspection des papiers d’un héritage.
On connaît, bien sûr, le penchant auquel on peut céder par facilité ou par préjugé, lorsqu’on évoque le Maroc, l’Afrique du Nord. On pense aux peintures orientalistes de Delacroix, aux portraits des femmes de la kasbah écrits par Pierre Loti. Valentine Goby veut, dans ce livre, faire justice de ces visions. Ce qu’elle nous dit, c’est que cette carte postale, avant d’être la représentation d’un exotisme facile, est d’abord un mensonge. Ce dernier engobe bien sûr la condition de prostituée à cette époque dans le Bousbir de Casablanca. Ce vocable viendrait de la déformation de l’euphonie du prénom Prosper que les autochtones auraient changé en « Bousbir ». On y trouve aussi d’éclairantes réflexions sur le rôle du photographe. En l’occurrence, il se rend complice de ce mensonge et éprouve des remords perceptibles : « Il pourrait demander à la fille de tourner légèrement la tête, de braver l’objectif, mais quelque chose l’en empêche. Lui serre la gorge. Cette fille renversée et muette et hostile avec sa bouche douce s’est sauvée dans les songes. Elle s’est absentée du studio, la cigarette fume entre ses doigts sans volonté. La photo sera tendre, pense le Photographe. Une rêveuse mauresque. La lumière entre dans l’appareil et grave l’image. Au dos du châssis, à la mine de plomb, le Photographe inscrit : »Khadidja la Marocaine ».Il a une drôle d’envie de pleurer. » D’autres passages évoquent les états occasionnées par la prostitution : « Il fourrage sous la robe d’Aïcha et l’assoit sur lui en lui tenant les hanches. Elle résiste, Al fluz ! Il lui balance le portefeuille, tiens ! (…) elle, elle pense à Jeanne d’Arc, elle exulte en-dedans, elle tient sa place de cinéma et même un glace à la sortie, elle ouvrira une bouteille de vin après, elle le soûlera son gentil Maurice, Il dormira comme un bébé, d’une traite jusqu’au matin. »
La représentation de cette femme, sa surexposition, selon le mot de l’auteure, a été génératrice d’illusions, elle a contribué à l’ancrage des stéréotypes dans notre imaginaire. Et enfin, elle a légitimé la violence faite au corps féminin par sa marchandisation, son inclusion dans la prostitution. Cet ouvrage est donc bien un écrit de révolte.