Jeanne sur les routes
de Jocelyne Saucier

critiqué par Libris québécis, le 6 février 2014
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'Abitibi rouge
Avant de connaître un succès appréciable avec Il pleuvait des oiseaux, commenté magnifiquement par Dézébed, Jocelyne Saucier a écrit précédemment Jeanne sur les routes, un roman inspiré du passage de Jeanne Corbin à Rouyn en 1933. Grâce à son charisme, cette réelle immigrante française rallie à la cause communiste les mineurs et les bûcherons de l'Abitibi (nord du Québec) ainsi qu'un journaliste qui tombe sous le joug de la militante marxiste alors qu'elle prononce un discours pour inciter les ouvriers à faire la grève.

Dès lors, il devient l'un de ses fervents disciples et consacre le reste de ses jours à répandre la doctrine de cette femme d'obédience stalinienne. Le zèle qu'il déploie bouleverse sa famille qui se sent menacée par ce sauveur du monde. Soutenue par ses convictions religieuses, la mère tient le phare alors même qu'elle soupçonne que l'implication de son mari résulte d'un amour inavoué.

L'histoire trouve son originalité dans la forme que Jocelyne Saucier a donné à son ouvre. C'est à travers Jeanne, cadette des filles du journaliste, qui porte le prénom de l'héroïne, qu'apparaît la singularité paternelle. L'accompagnant sur les routes alors qu'il va répandre la bonne nouvelle, l’adolescente peaufine ses connaissances sur la marxiste qu'elle n'a pas connue, sauf par l'intermédiaire de ses deux sœurs qui s'amusaient à faire du théâtre d'enfant inspiré de la vie de leur père.

La trame forme un triptyque couvrant sans linéarité l'enfance, l'adolescence et la vie adulte de Jeanne, la narratrice. Cet écheveau à trois brins illustre comment, en terre boréale, la gauche naquit et mourut de sa belle mort en ne répondant pas aux nouvelles attentes des prolétaires. Construit intelligemment et écrit avec une plume sûre, ce roman ouvre une lucarne sur une période obscure de notre Histoire, qui compte pourtant de nombreux témoins de l'Abitibi rouge.