Allons enfants ...
de Stéphane Bein

critiqué par JulesRomans, le 7 juillet 2014
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
Un poilu de Limoges a une femme au vase qui n’est pas en porcelaine
Stéphane Bein était né à Arès en Gironde le 7 avril 1972, limousin d’adoption il nous livre là un de ses derniers ouvrages, ayant choisi de mettre fin à ses jours le 18 janvier 2014, à l’âge de 41 ans.

L’action d'"Allons enfants" démarre avec la mobilisation de Joseph de la Haute-Vienne (le narrateur) et de ses deux amis le Creusois Martin et le Corrézien Grégoire ; ils démarrent la guerre au 63e régiment d‘infanterie, unité dont les casernes sont en Haute-Vienne. Le chapitre III évoque d’ailleurs l’enfance du héros dans le Limousin, au rythme des saisons:

« Et mars viendrait, avec ses pluies et sa grêle, le bœuf, le soc et le labourage pour qu’en avril l’on sème le trèfle et les graines de printemps et plantions les pommes de ter pour l’hiver ». (page 19)

Au chapitre V d'"Allons enfants", le narrateur évoque sa rencontre avec Margot, ce qui permet de glisser l’expression désuète aujourd’hui d’"avoir un polichinelle dans le tiroir", lorsqu’une femme attend un enfant. Alors qu’il vient d’avoir 18 ans il s’engage et épouse Margot. Au passage le récit évoque Marcel Roux (1845-1927), maire de Saint Yrieix- la-Perche, conseiller général de 1883 à 1927 puis président du conseil général de la Haute Vienne. À la fin de l’ouvrage, l’auteur en s’appuyant sur un livre sur l’histoire de cette cité, évoque la vague d’espionnite qui fait passer pour Allemand, un brasseur d’origine alsacienne qui s’était battu évidemment côté français en 1870.

Le narrateur s’attarde sur les combats auquel il participe à Blagny dans les Ardennes fin août, lorsque les soldats français apprennent que l’on peut mourir sans avoir vu l’ennemi qui vous tire dessus (pages 81 à 84). On se doute que Stéphane Bein a utilisé l’historique du régiment pendant la Grande Guerre (il donne par exemple le nombre précis de morts du 27 août) pour construire un récit saisissant:

« La peur c’est ce que j’ai appris aujourd’hui. Des gars qui tombent comme des mouches. Comme ces hannetons foudroyés par la chaleur estivale qui s’écrase, grillés en plein vol. Des corps transpercés d’une balle de cuivre, des hurlements de douleur sous la blessure, des souffles coupés par l’abeille, des bouches qui s’ouvrent sans qu’aucun son n’en sorte et des corps qui s’affalent comme des poupées de chiffe. La peur était d’être l’un d’entre eux. De ceux qui mouraient aujourd’hui … » (page 83)

Le narrateur pose de façon assez crue le problème lancinant de la fidélité des femmes des poilus. Devenu gueule cassée en avril 1915 (mâchoire arrachée), Joseph rencontre sur son lit d’hôpital un blessé qui est passé à Limoges. En voyant la photographie de la femme du narrateur, il lui révèle qu’elle se livre à la prostitution à Limoges. Jusqu’à présent Joseph pensait qu’elle avait rejoint la préfecture pour se faire embaucher dans une usine.

« La plus jolie petite pute du Limousin, m’a-t-il dit. Et il s’y connaissait le bougre. Facile, docile, pas froid aux yeux et pas cher avec ça, vu qu’elle avait un gosse dans l’appartement et un autre dans le ventre. Mais bon, on l’aimait bien, vu qu’elle rechignait pas à la besogne. (…) Pas encore majeure et déjà meilleure pute du pays. Elle te soufflait dans le cornet t'offrait sa tranchée – avant comme arrière – sans rechigner, sans demander un sou de plus ! » (pages 134-135)

Le lendemain Joseph est démobilisé et file vers Limoges. Quelles seront les conditions dans lesquelles il va retrouver son épouse?