N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures
de Paola Pigani

critiqué par Alma, le 25 janvier 2014
( - - ans)


La note:  étoiles
Un voyage mémoriel dans un camp d’internement des Manouches de 1939 à 1945
Le titre étrange est emprunté à un proverbe tsigane qui dit « qu’on n’entre pas impunément chez les Manouches, ni dans leur présent, ni dans leur mémoire » .

Paola Pigani entre, elle, doucement, avec bienveillance, chez ces gens « de passage » avec lesquels elle avait partagé des moments d’enfance. Elle retrouve plus tard des membres d’une de ces familles qui, autour d’une photo prise en 1940, reconstituent pour elle ce que fut la vie de leur grand-mère Alexienne et des familles manouches des Charentes dans le camp des Alliers, un camp d’internement où 350 nomades furent regroupés à Angoulême entre 1939 et 46 .

C’est tout un pan mal connu du sort des nomades en France pendant la seconde guerre mondiale qui resurgit dans cet ouvrage. Leur nomadisme devant être « éradiqué comme une maladie honteuse », la Kommandantur aidée par la police de Vichy les parque dans ce camp qu’on leur présente comme « un asile de protection » . On les contraint à la sédentarisation, on ne leur permet plus de pratiquer les activités qui les faisaient vivre. Misère profonde , perte de leurs rites, de leur fierté, de leur « identité qui prend le poids de la honte » , pour ces fils du vent, ces enfants du voyage, étrangers à une guerre qui n’est pas la leur, perdus dans le froid humide des baraquements, pataugeant dans la boue, affaiblis par le manque de nourriture, la maladie et la vermine .

Paola Pigani choisit de montrer leur quotidien en se plaçant « du côté des femmes qui dans leur chair ont toujours porté raison et vérité » Le personnage central du roman est la grand-mère Alexienne devenue Alba , qu’on suit de 14 à 20 ans, qui passe en 6 ans de l’âge des jeux à celui des amours . Autour de la jeune Alba apparaît tout ce qui constitue le quotidien du camp : la vie de sa famille et celle des baraquements voisins, les échos des faits de la Résistance, les ordres et les interdictions des gardiens, les initiatives des « chariteux » qui tentent d’apporter un peu de soulagement à ces oubliés de la guerre.

Paola Pigani propose ici un roman chaleureux, souvent poignant. Pleine de tendresse pour ses personnages, mais sans pathos ni manichéisme, elle a su parler avec grâce de l’extrême misère de ces arpenteurs du monde et tirer « d’un silence enseveli » cet épisode mal connu de notre histoire.
dans les camps 10 étoiles

Un premier roman, qui a fait connaître avec succès cette auteure rare, poétesse venue de cette Charente natale qu’elle connaît si bien. Roman social, comme ceux qu’elle a écrits par la suite ("Des orties et des hommes", "Et ils dansaient le dimanche"), de la même qualité, mettant son écriture raffinée, nimbée de poésie, au service de la dénonciation d’une injustice. Elle nous parle ici de ceux qu’on appelle gitans, manouches, tziganes, roms ou romanichels selon les pays et les époques, selon aussi le degré de mépris dans lequel on les tient. Ce que l’on ignore souvent (mais plus jamais après la lecture de ce livre) c’est le destin qui a été le leur sous la domination allemande au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Leur extermination était programmée, même si cela n’a pas été de façon aussi radicale que pour les juifs. En France, on leur a retiré tous leurs biens, leur roulotte, leur cheval, souvent leur seule richesse, pour les enfermer dans des camps comme celui des Alliers, en Charente, où l’on va s’attacher au destin de la petite Alba, la fille de Maria l’aveugle tresseuse de paniers et Louis le montreur d’ombres. Cet enfermement va durer au-delà de la libération de la France, puisqu’il va leur falloir attendre 1946 pour enfin quitter ce camp maudit où malnutrition, absence d’hygiène et perte du goût de vivre se sont conjugués pour décimer des familles privées de ce qui faisait leur honneur : la liberté. Roman puissant, aux personnages attachants, porteur de cet humanisme profond que Paola Pigani souhaite nous voir partager. Une réussite…

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 15 novembre 2024