La maison étrangère
de Élise Turcotte

critiqué par Libris québécis, le 20 juillet 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Découverte de soi par le corps
Sans être un conte pour adulte, on retrouve dans La Maison étrangère, l'univers de La Sirène des bois d'Andersen. D'ailleurs, la première partie du roman d'.lise Turcotte porte comme titre celui de l'oeuvre de l'auteur danois. Les deux héroïnes cherchent leur place dans un monde auquel il faut s'attacher avec toute son humanité, soit avec son corps et son âme, la dernière y arrivant par le premier.
.lisabeth, l'héroïne du roman, est une médiéviste imprégnée de la pensée du Moyen Âge. Elle ne peut concevoir le monde sans que s'établissent des correspondances symboliques qui en facilitent l'accès. Les découvrir, c'est non seulement sentir que l'on y appartient, mais c'est aussi accéder à sa propre identité. Nul n'est une île, la solitude est l'adversaire à abattre pour comprendre cet univers, dont les enluminures mises en relief sont autant d'invites pour se glisser à l'intérieur d'un corps social qui englobe notre individualité.
C'est à la suite d'un échec amoureux que l'héroïne « cherche le vent », comme dirait Guillaume Vigneault, pour que sa vie ne devienne pas « un carnet de naufrage ». Les deux auteurs traitent de la même dynamique en fait. Pour trouver le vent qui souffle dans les voiles, il faut se débarrasser de ses oripeaux pour en revêtir de nouveaux. La transition est douloureuse parce que l'on se sent comme dans une maison étrangère. Laisser tomber les masques qui nous identifient pour découvrir sa véritable identité demande un courage que peut soutenir l'exemple des animaux. Par ses oeuvres, son amant Jim, un photographe animalier, lui fournit l'occasion de trouver les ressemblances qui nous tiennent à la vie. C'est par l'enveloppe charnelle que l'on appartient à son univers. Les animaux en ont une qui facilite leur intégration à leur milieu ambiant comme nous avons la nôtre qui peut jouer le même rôle.
élisabeth s'interroge sur l'importance de son corps. Elle se demande ce qu'il est en train de lui dire, s'il porte en lui «les ténèbres de ce monde». C'est Hildegarde de Bingen, qui donne la réponse à ses questions. Le corps permet une meilleure connaissance de soi. Il est en quelque sorte la bible du monde. Le Moyen Âge l'a découvert. Par la suite, on s'est empressé de le cacher comme l'indiquent les nombreuses feuilles de vigne dont on vient de se rendre compte qu'elles sont des ajouts aux oeuvres originales. L'héroïne se débarrasse de cet élément importé pour mieux se connaître. Elle jauge sa véritable mesure au contact du corps d'autrui. S'il peut mener au septieme ciel, il peut bien mener à la route de notre demeure. Et l'adresse serait celle de l'amour.
Le plus difficile, c'est d'atteindre l'autre qui nous révèle. élisabeth y arrive péniblement. Elle découvre son père et sa mère, ses amants, l'un de ses étudiants, la bibliothécaire qui lui prête les gants obligatoires pour consulter les oeuvres anciennes dont elle s'inspire pour préparer un ouvrage sur le livre des heures, genre courant au Moyen Âge. Elle comprend finalement que la devise de Socrate, le «gnôthi seauton», passe par un autrui incarné. Cette découverte de l'importance des relations humaines favorise sa sortie des limbes.
Ceux qui aiment les romans d'introspection apprécieront cette oeuvre simple somme toute. Ce n'est pas un regard narcissique sur soi-même, mais une quête existentielle à travers l'imaginaire d'une adulte, qui comme le petit Poucet sème des cailloux sur son chemin pour ne pas se perdre. Ce magnifique roman nous fait réaliser que les frontières de l'âge ne sont pas si larges. Tous ont besoin d'aimer et d'être aimés.
Et ce qui ne gâte pas la sauce, c'est que l'écriture se déploie avec une grâce poétique, qui confère à l'oeuvre la magie des contes pour enfants.