Un spécimen transparent : Suivi de Voyage vers les étoiles
de Akira Yoshimura

critiqué par Myrco, le 9 février 2014
(village de l'Orne - 75 ans)


La note:  étoiles
La mort...encore...dédramatisée
Ce recueil réunit deux récits où il est question de mort, thème récurrent dans l'œuvre de Yoshimura; leur attrait tient autant à l'angle d'approche, différent de l'un à l'autre, mais toujours original et inattendu, qu'à l'écriture, parfois poétique, et dans laquelle chaque détail fait sens.
Dans les deux cas, l'auteur ne ménage guère le suspense et l'on comprend assez vite la voie sur laquelle il nous entraîne, même si quelques interrogations demeurent sur l'issue finale ou ses modalités.

Dans "Voyage vers les étoiles", équipée joyeuse d'une bande de jeunes désabusés en projet de suicide collectif, la mort n'est pas envisagée seulement comme une délivrance (à l'instar de ce que vivent les trois "étrangers" qu'ils vont véhiculer une partie du chemin); elle est perspective de joie, de bonheur, seul stimuli capable de les sortir de leur indifférence au monde; c'est elle qui, paradoxalement, se pare des couleurs de la vie, alors que cette dernière est synonyme d'ennui, de mélancolie, de vide absolu.
"il avait conscience de ce que son entourage aux teintes passées en était revivifié, plein de couleurs et de lumière comme du verre coloré.»
Ici, la vie n'apparaît que comme un passage, et la mort, dédramatisée, comme une étape pas si difficile à franchir:
"La vie à laquelle se raccrochaient les humains était-elle si étonnamment fragile et la mort venait-elle aussi aisément tel un léger salut ?"

Dans "Un spécimen transparent", la mort n'est là que comme cause nécessaire à l'activité du personnage principal, Mitsuoka Kenshiro. Celui-ci, la soixantaine, prépare dans les laboratoires d'un hôpital universitaire, des échantillons osseux prélevés sur des cadavres non identifiés déjà avancés, pour reconstituer des squelettes à des fins d'études, un travail qu'il accomplit de manière perfectionniste, avec passion.
Ce pourrait être morbide et contrairement aux apparences, ça ne l'est pas vraiment. Bien sûr, compte tenu de ce dont il nous parle, Yoshimura ne peut nous épargner certains détails, mais nous ne sommes pas ici dans un univers voyeuriste malsain.
Peu à peu, on pénètre dans la vie de ce personnage, son enfance solitaire, l'origine de sa passion, son isolement, car il est à la fois rejeté par les femmes et méprisé de tous, même par cette belle-fille qui l'exploite. On finit par éprouver de la compassion, voire de la sympathie pour cet homme qui se réfugie dans son art car c'est bien cela qui l'anime jusqu'à l'obsession: une passion de nature esthétique pour la beauté de la matière qu'est l'os humain, une matière dont il voudrait faire jaillir la quintessence, ce qui serait la consécration de toute une vie de travail dévalué.
Il imagine:
"les os du bassin transparent comme des plaques de mica blanc, ceux des doigts étincelants comme des stalactites... Il allait laisser au monde le squelette de (X) dans un état magnifique pour l'éternité. "
Pour parvenir à la réalisation de ce rêve, il lui faudrait les os d'un cadavre frais...
Je disais précédemment que dans ce récit, la mort n'était là que comme cause nécessaire. De fait, lorsque notre homme travaille, ce n'est pas la mort qu'il voit, mais le cadavre, l'objet qui en résulte; et lorsqu'il s'y trouvera réellement confronté, il en sera presque surpris:
"il ne pensait pas que la mort pouvait visiter aussi facilement un corps en vie ".

De manière générale, cette veine imaginaire nourrie à la fois d'une notion aiguë de la fragilité de la vie et d'une grande familiarité entretenue avec la mort n'est probablement pas sans rapport avec l'expérience personnelle de Yoshimura: victime de problèmes pulmonaires graves dans sa jeunesse, il avait subi, à titre expérimental une opération qui, heureusement se passa bien; on peut supposer qu'il y fait référence au travers du personnage de Kamo, l'assistant de Kenshiro.