Une soif d'amour
de Yukio Mishima

critiqué par Rotko, le 18 juillet 2003
(Avrillé - 50 ans)


La note:  étoiles
amour tragique
Pourquoi Etsouko, jeune veuve, rejoint-elle l'univers familial figé dominé par son beau-père, ex-pdg, reconverti dans la mise en valeur d'un domaine rural ? cette jeune femme à l'abord impassible n'a connu que des déboires conjugaux. C'est une naufragée résignée, mais aussi une eau dormante que des turbulences intérieures taraudent et font souffrir. Devant le maître, les domestiques
affichent le plus profond respect, et sont relégués au bas-bout de l'humanité.
Saburo est un paysan, jeune mâle au corps musclé, bel animal sans complications. C'est à lui que pense Etchouko, devenue la maîtresse de son beau-père, vieillard aux mains calleuses et aux articulations raides.
Dans la famille de ses beaux-frères, Etchouko ne trouve ni chaleur ni compréhension. A leur endroit, Mishima use d'un style froid qui égratigne leur conformisme ; ils sont si prisonniers de leurs préjugés qu'ils en deviennent aveugles : "Les gens qui ne portent que des vêtements de confection sont enclins à douter de l'existence des tailleurs. Ce couple était incapable de concevoir que les tragédies de certaines personnes sont faites sur mesure." On voit que Mishima peaufine des réflexions de moraliste, et peint la société et les êtres comme ferait un entomologiste : "La famille semblait guidée par un vif et fâcheux sentiment des couches sociales. C'était comme un instinct aigu, animal, comme celui qui [...] permet à une fourmi ouvrière de reconnaitre une fourmi d'un nid différent, ou à la reine de reconnaitre les ouvrières [...]. Ils ne s'en rendaient pas compte... Ce livre dissèque la société et dans ce contexte, les sentiments dits d'amour, car "chacun tue ce qu'il aime" (O.Wilde).
Le temps figé. 9 étoiles

Une femme rongée par la solitude et l'ennui d'une vie morne. Elle couche avec son beau-père, elle aime un homme plus jeune qui n'est pas digne d'elle de par son niveau social, et qui ne se doute pas des sentiments qu'il provoque chez cette femme comme vidée par l'indignité de sa vie.
Elle est condamnée à aimer secrètement, à mener cette vie qui la dégoûte, où les journées passent lentement, et où elle ne peut pas réellement exister.
Mais la calme, l'impassible Etsuko va se réveiller et laisser éclater sa passion de femme trop longtemps résignée et engoncée dans les traditions d'un Japon vieillissant...

Un portrait de femme qui se perd dans les méandres d'un Japon que l'on croirait n'avoir jamais existé. Le temps semble comme s'effriter à chaque page, les parcelles que nous parvenons à capturer nous projettent à une époque douloureuse et cruelle, où la perfidie consume les êtres.

Le livre fermé il reste une langueur incoercible, celle-là même qu'Etsuko tenta de briser.

Opalescente - - 41 ans - 6 octobre 2006