L'événement anthropocène : La Terre, l'histoire et nous
de Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz

critiqué par Elya, le 18 janvier 2014
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
La prise de conscience de l'impact néfaste de l'homme sur la terre n'est pas nouvelle
Peut-être avez-vous déjà entendu parler du concept d’anthropocène dans la presse ou des magasines comme Science&Vie. C’est aussi le nom d’une toute nouvelle collection au Seuil dont ce livre est le premier à en être issu.
Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, l’a employé pour la première fois en l’an 2000 pour désigner une hypothétique nouvelle période géologique, qui se caractérise par l’influence majeure de l’homme sur l’instabilité climatique, pour la première fois dans l’histoire géologique. Depuis, de nombreux géologues, climatologues ou historiens planchent sur le sujet pour décider ou non de son officialisation.

L’idée de cet ouvrage écrit par deux historiens du CNRS est de nous présenter ce concept (chapitres 1 à 3) mais surtout de critiquer les discours le reflétant (chapitres 4 à 9) afin qu’il « ne devienne pas la philosophie légitime d’un nouveau géopouvoir technocratique et marchand », comme l’ont pu être par le passé d’autres concepts issus du mouvement « écologiste ».

Le plus gros reproche qui est fait à ces discours est leur propension à sous-entendre que nous prenons conscience seulement maintenant – ces dernières années, au mieux ces dernières décennies – de l’impact néfaste et colossal des activités humaines sur l’environnement. Les deux auteurs, en s’appuyant sur de nombreuses et solides références, montrent en quoi dès le XVIIIème (soit dès le début généralement admis de la période Anthropocène), certaines franges de la population tiraient déjà des alertes et luttaient contre la pollution urbaine ou l’industrialisme. C’est tout un pan de l’histoire, et notamment celle des techniques, qui nous apparaît. Saviez-vous qu’on comptait déjà 6 millions d’éoliennes à la fin du XIXème siècle ? Personnellement, je pensais que ces engins étaient une innovation toute récente, et que jusqu’alors seuls les moulins et les bateaux avaient utilisé l’énergie du vent. C’est bien sûr un exemple parmi des centaines d’autres, qui révèlent l’existence de techniques, modes de vie, mouvements, tous « ancestraux », dont on ne soupçonne pas l’existence.
Comment l’intensité et la permanence de ces réflexions et oppositions sur les problématiques environnementales ont pu être délaissées par les récits « classiques » et « conventionnels » de l’histoire ? C’est une des pertinentes questions auxquels les auteurs répondent. Différents facteurs rentreraient en jeu : la genèse de l’Etat-Nation libéral et de l’empire britannique, l’impérialisme américain succédant à la seconde guerre mondiale et à la guerre froide, l’appareil militaire intrinsèquement exubérant d’un point de vue énergétique, la logique de toute puissance inhérente aux états, l’économie mondiale capitaliste et les besoins consuméristes qu’elle alimente…

On ne compte plus les ouvrages traitant du « développement durable », de la nécessité d’une « transition énergétique ». Quand j’ai reçu en cadeau celui-ci, je me suis dit « encore un », et l’ai entamé un peu à contrecœur, avec l’impression d’en avoir déjà beaucoup lu sur le sujet sans que cela fasse avancer le schmilblick. Vous l’aurez compris, L’évènement anthropocène ne dresse pas un énième constat des problèmes environnementaux auxquels nous sommes confrontés (même s’ils sont évoqués et détaillés). Ce n’est pas non plus un ouvrage pratique qui décline des trucs et astuces pour citoyens aspirant à la « décroissance ».
C’est un ouvrage atypique au contenu à forte propension critique, se substituant aux conclusions habituellement alarmistes et pessimistes ou optimistes. En nous délivrant ce récit historique sans doute parfois discutable (des dires des auteurs eux-même), ces derniers espèrent pouvoir « reprendre politiquement la main sur des institutions, des élites sociales, des systèmes symboliques et matériels puissants qui nous ont fait basculer dans l’Anthropocène : les appareils militaires, le système de désir consumériste et son infrastructure, les écarts de revenus et de richesses, les majors énergétiques et les intérêts financiers de la mondialisation, les appareils technoscientifiques lorsqu’ils travaillent dans les logiques marchandes ou qu’ils font taire les critiques et les alternatives ».