La tanière
de Norman Manea

critiqué par Pucksimberg, le 15 janvier 2014
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Un roman labyrinthique et passionnant pour qui accepte de se perdre entre ses lignes
Augustin Gora a quitté la Roumanie pour s'installer aux Etats-Unis où il a recréé un univers familier, sa tanière de livres. Il se plaît à rédiger des nécrologies. Il pense souvent à la femme qu'il a aimée Lu qui vit désormais avec Peter Gaspar, fils de déportés. Ce dernier téléphone souvent à Augustin Gora afin de discuter et aimerait devenir irresponsable. Il reçoit un jour une lettre de menace qui va semer le trouble. Peter Gaspar pense à cet article qu'il avait écrit dans lequel il révélait les sympathies fascistes d'un grand penseur roumain : Dima, "Le Vieux", "Le Maître". Cette lettre est-elle liée à ce texte ?

Ce roman repose essentiellement sur des dialogues. Le lecteur n'a pas en possession toutes les clés pour savoir systématiquement qui parle ou quels sont les enjeux du texte. Comme les pièces d'un puzzle, en avançant dans l'oeuvre, on établit des liens afin de clarifier les choses, même si certains points restent assez énigmatiques à la fin du roman. Il est souvent question de Borgès, de bibliothèques et de labyrinthes, ce qui n'est pas très surprenant quand on pense à la structure du roman et à certaines difficultés de compréhension. De plus, le réel s'entrelace parfois avec les rêves, voire les cauchemars, ce qui ne fait qu'enrichir le texte. J'ai lu parfois des critiques sur internet qui disait que le roman était incompréhensible, il n'en est rien ! Il est exigeant comme le sont les romans de Lobo Antunes ou de Don DeLillo, mais cela reste tout à fait lisible.

Le style est singulier. Les pages contiennent des flots de paroles comme si ces personnages avaient un besoin urgent de parler de l'exil, de leur passé commun dans un pays marqué par la dureté de figures historiques malveillantes. Certains passages narratifs, qui pourront heurter certains lecteurs, alternent des phrases classiques et des phrases nominales, ce qui confère à la lecture un rythme particulier qui semble suivre le flux de la pensée.

Ce qui m'a sans doute le plus intéressé, voire même passionné, c'est la base réelle qui a servi à l'élaboration de ce roman. Ce Dima, monument littéraire roumain, rappelle nettement Mircea Eliade ( auteur fasciné par l'ésotérisme, sympathies pour la Garde de fer, vie aux Etats-Unis, amour avec une femme indienne, passion pour les codes et les signes à décrypter, évocation des réunions estudiantines dans une salle pour débattre de tout comme Mircea Eliade le raconte dans "Gaudeamus", son regard sur la société désacralisée d'aujourd'hui, évocation de son célèbre essai "Le Sacré et le profane" ... ). Ce Dima rappelle aussi Paul Goma et ses propos antisémites. Le personnage de Palade, quant à lui, fait écho à cette enseignante roumaine qui a été assassinée à Chicago. Norman Manea, lui-même, a reçu des menaces de mort et a publié un texte qui fit scandale dans lequel il osa révéler les fascinations fascistes de Mircea Eliade, ce qui lui valut de nombreuses injures ...

Pour tous ces éléments, je dois reconnaître avoir fortement apprécié ce roman qui ne s'offre pas facilement au lecteur, mais qui contient de franches qualités littéraires. Les pages sur la vieillesse et la maladie sont assez bouleversantes, celles sur le 11 septembre sont poétiques et marquantes.
exil et libertés 8 étoiles

Augustin Gora est un réfugié politique de la Roumanie communiste qui vit à présent à New York. Intellectuel reconnu, il passe son temps à rédiger les nécrologies de ses contemporains, bien entendu que tout vivant est un mort en sursis. En s'exilant, il a laissé derrière lui ses amis, les conversations d'intellectuels chuchotées au clair de lune, et la belle Ludmilla, sa femme, son amour, qui a refusé de partir avec lui, mais qui viendra pourtant à New York en compagnie de Peter Gaspar, son cousin et amant. Peter Gaspar lui aussi est un intellectuel, il donne des cours à l'université. Il appelle souvent Gora, entretient avec lui des conversations surréalistes grâce auxquelles il se parle à lui-même : Il interrogeait, tout en s'interrogeant. Il n'attendait pas de réponse, mais l'interrogé faisait partie de l'interrogation. Parfois même, Gora lui répond. Un jour, Gaspar reçoit une carte postale, en lien avec Dima, grande figure mondialement connue, adulé par la Roumanie. Sans doute une menace. Gora, bien avant Gaspar, craint pour sa vie. Car Gaspar et Gora connaissent le passé controversé mais caché de cet homme, de Dima, et ses sympathies avec l'extrême droite. Est-ce ce secret que l'on veut faire taire en même temps que Gaspar ?

Il n'est pas évident de faire un synoptique de cette Tanière de Norman Manea. A vrai dire, s'il n'avait fait partie de la sélection pour le prix "Découverte roman étranger" de Critiques Libres, non seulement je ne l'aurais pas commencé, mais je ne l'aurais certainement pas fini.
La tanière, cet endroit à partir duquel Gora écrit ses notices nécrologiques sur les futurs morts, est une œuvre étrange et labyrinthique. Certaines scènes se répètent plusieurs fois, pour s'inclure dans des contextes différents (notamment la première scène dans laquelle Gaspar monte dans un taxi… j'ai même cru à une erreur d'impression), on ne sait de qui sont les pensées qu'on lit, ni qui parle dans les dialogues, ni à quelle époque ça se passe, encore moins dans quels lieux… Certaines phrases sont belles et poétiques. D'autres passages sont une association de mots, séparés par des points. L'auteur joue avec le son et le sens des mots (avec talent, il faut le reconnaitre). Bref, je suis restée un certain temps assez sceptique devant cette lecture qui me paraissait nombriliste, élitiste et égocentrique.
Mais au bout d'un moment, d'un certain nombre de pages, de passages, de paysages, de personnages, je me suis laissée prendre au jeu. Notman Manea trempe une plume, de celles qui écorchent le papier sur lequel elles écrivent, dans l'acide, pour nous dépeindre deux hommes qui se veulent si différents (sans compter Pallade et Dima) même s'ils aiment la même femme, pour dépeindre deux sociétés si opposées. Si la Roumanie n'est pas un ersatz du paradis, la vie n'est pas forcément plus verte de l'autre côté de l'Atlantique, au pays des capitalistes et des cartes d'assuré social. Des réflexions sur l'amour, l'exil, la société, le socialisme et le capitalisme, surgissent des conversations, des pensées, des conversations. Où qu'ils aillent, ces deux hommes portent leur passé avec eux, que ce soit Gora, qui s'enferme dans sa tanière au pays de la liberté, ou Gaspar, "sorti du ventre ensemencé d'Auschwitz", gros et gras comme un éléphant, qui souhaite être irresponsable.
Même si beaucoup de choses m'ont échappées, probablement par manque de connaissance de l'histoire et des grandes figures de la Roumanie, j'ai beaucoup aimé l'immersion proposée par ce livre qui fait penser au mouvement surréaliste, aux représentations de Dali en particulier (d'ailleurs l'auteur évoque à plusieurs reprises les cauchemars de Gaspar qui se prend pour l'un des éléphants du tableau éponyme de Dali). Mais j'ai fini par me perdre au lendemain du 11 septembre, dans la dernière partie du livre. A ce moment-là, Gora sort de ses lamentations sur la vieillesse, la maladie et l'exil, et l'attentat marque son retour à la vie. Enfin, si j'ai bien compris, et ça, ce n'est pas sûr !!
Je garderai en tout cas de cette lecture exigeante un bon souvenir, un livre dans lequel on s'immerge avec plaisir, sans pour autant être jamais sûr du moment et de l'endroit où l'on pourra reprendre sa respiration !

L'exil rapproche des gens qui, auparavant, ne fréquentaient pas les mêmes cercles.

Il y avait autrefois une journée ONU des handicapés. Il y a même eu une année ONU des handicapés, je m'en souviens. J'espérais que les Nations Unies sortiraient alors l'Est handicapé des latrines socialistes.

- Le communisme était une cause juste. Elle l'était pour mon père. Et pas seulement pour lui.
- Clore le bec aux gens, confisquer les biens acquis par leur travail, c'est une cause juste ?
- Non, pas nécessairement ça. S'opposer au fascisme, par exemple. Entretenir l'illusion d'un avenir plus juste. L'avenir lumineux de l'humanité, c'est ce que promettaient les slogans.

Ellane92 - Boulogne-Billancourt - 49 ans - 14 juin 2014


Dur d’aller au bout … 4 étoiles

« La tanière » est indéniablement un roman de qualité, qualité de l’écriture notamment, mais Dieu qu’il me fut difficile d’aller à son terme ! Il est des romans ainsi qui vous freinent dans votre débit de lecture, qui ne rentrent pas dans le cours régulier de l’absorption de lignes, de mots …, qui sont un peu rébarbatifs – et là je ne parle que pour moi.
« La tanière » me fut rébarbatif. Il me fut réellement difficile d’aller jusqu’au bout et ça me prit un temps anormalement long. Un signe.
A vrai dire, Norman Manéa ne facilite pas les choses par un choix narratif délibérément abscons et décousu (pour autant qu’il fût cousu à un quelconque moment !). C’est rare de terminer un roman, aussi incertain d’avoir compris le fond des choses, voire par moments qui s’exprimait, auprès de qui, dans quelles circonstances … Frustrant.
Augustin Gora, roumain de l’époque Ceauscescu et rideau de fer, s’est exilé aux Etats-Unis. Sa femme aimée, Lu, ne l’a pas suivi. A dire vrai, on ne sait pas ce qu’elle a fait ! Il semblerait néanmoins qu’elle ait fini par rejoindre elle aussi les Etats-Unis, en compagnie de son cousin, Peter Gaspar, devenu entre-temps son amant.
Aucunes de ces personnes n’est très « nette dans la tête ». Peut-être est-ce pour cela que Norman Manéa a pris le parti de traiter ainsi son histoire ? C’est en tout cas très fatigant et il faut sûrement être très intéressé par les tribulations d’un roumain en exil pour y prendre goût. Tel ne fut pas le mien.
De la même manière qu’on peut faire de la mauvaise cuisine avec des ingrédients de qualité …, Norman Manéa m’a paru avoir un peu gâché son talent d’écriture par une construction – une déconstruction ? – inepte.

Tistou - - 68 ans - 6 mai 2014


Onirique et hermétique 4 étoiles

Augustin Gora a quitté la Roumanie pour les états-unis seul. Sa femme, la belle Lu ne l'a pas suivi. Elle vit maintenant avec son jeune cousin Peter Gaspar..
Mais un jour, ils arrivent tous les deux sur le sol américain. Dérangeant Gora dans sa tanière et sa rédaction de nécrologies.
Quant Palade, roumain célèbre dont ils viennent de faire la nécrologie est assassiné, on s'attend à ce que le chapitre suivant démarre sur une enquête.
Mais pas du tout. On retrouve Palade en plein débat sur le Nouveau-monde avec Gora, fasciné par le controversé Dima.

La réception dans son imposant courrier d'une étrange carte va inquiéter Peter Gaspar, l'emmenant à la recherche des raisons et de l'auteur de cet assassinat. Mais malheureusement, cette carte n'est "que l'avertissement labyrinthique sur le coup incessant et invisible".

Pas facile du tout de suivre l'auteur qui navigue entre cynisme, humour, et horreur avec une aisance qui laisse pantois et un peu perdue pour ma part. Pas facile de s'y retrouver parmi des monologues délirants, l'absence de chronologie et la personnalité des héros.
"Palade s'embrouillait dans sa chronologie : le suspect avait d'abord été un indicateur de la Sécurité polonaise, puis il y avait renoncé, s'était évadé et travaillait pour l'ennemi."
Car qui est vraiment Peter Gaspar:
"- Le rôle que l'on m'a adjugé me suffit.
- Quel rôle ?
Celui de réfugié. Bizarre. Ahuri. Connecté sans être connecté. Communiquant sans communiquer."

J'ai l'impression que ma critique est aussi confuse que le roman assurément pas facile.
J'avoue que je n'aurais pas poursuivi ma lecture, surtout que les premières pages tournent en "boucle" la même scène d'un voyage en taxi, si ce livre n'avait fait partie du Prix CL.
Original mais ardu !

Marvic - Normandie - 66 ans - 30 mars 2014


Un style certes mais ... 2 étoiles

Et bien les 80 première pages m’ont fait aller directement aux dernières pour constater que le bouillonnement intérieur continuait tout au long de ce livre dans lequel je me suis perdue, peut-être faute d’attention suffisante de ma part ou par manque d’intérêt pour les états d’âme des personnages ou l’introuvable sujet.

Le style donc, c’est lui qui présente de l’originalité. Des phrases souvent courtes et parfois sans verbe qui en font un récit rapide, incisif, presque péremptoire. Cela me fait d’ailleurs un peu regretter de l’avoir abandonné et je note de le (re)lire ultérieurement.

Un écrivain roumain exilé aux États-Unis et dont la femme n’a pas voulu l’accompagner voit celle-ci y venir avec son jeune cousin comme compagnon. Le narrateur explique dans de longs monologues de l’écrivain comment ils s’évitent ou s’entraident, quel a été leur passé, quelles sont leurs obsessions et leur conception du monde.
IF-0214-4178

Isad - - - ans - 1 mars 2014