Penser la valeur d'usage des sciences
de Collectif

critiqué par Elya, le 14 janvier 2014
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
L'impact des travaux scientifiques sur les sphères environnementales, sanitaires, politique... quel est-il ? Comme le mesurer ?
Cet ouvrage est celui d’un collectif d’auteurs, de nationalité suisse ou française. Ils sont sociologues, historiens, philosophes ou encore ingénieurs, et certains de leurs travaux portent sur ce qui est appelé ici « la valeur d’usage » des sciences. Ils nous en présentent des bribes ou des résumés plus complets au travers de 12 chapitres. Un effort de synthèse est réalisé en introduction et conclusion.

L’idée est de réfléchir de manière ouverte et plurielle à la « valeur d’usage » des sciences et à la manière de l’évaluer et de la mesurer. En France, nous n’avons qu’un mot pour désigner les résultats d’un travail scientifique. En anglais, on peut employer deux mots qu’il est intéressant de définir pour bien comprendre la notion de « valeur d’usage » : outcome et output.
Le premier, employé dans toute publication scientifique, désigne les résultats directs du travail. C’est celui qui est véhiculé au sein des institutions scientifiques par l’intermédiaire d’outils rassemblés sous le nom de scientométrie. À l’aide de données quantitatives, indexées dans des bases de données internationales, on arrive à recueillir ces résultats. Ces outils ne sont bien sûr pas exempts de biais, évoqués brièvement dans cet ouvrage. Ces outcome ne prennent cependant pas en cause l’usage non académique des sciences. Dans Penser la valeur d’usage des sciences, ils s‘agira donc de se concentrer surtout sur les outputs, qui représentent donc la manière dont la société dans son ensemble réceptionne et utilise ces résultats, et leur impact environnemental, politique, sanitaire, culturel (et pas seulement économique). Au premier abord, aucun indicateur ne les reflète. Tout l’enjeu est donc d’essayer de trouver les outils permettant de mieux les prendre en compte dans futur. Les auteurs ne renient pas que cela peut être une porte ouverte vers un processus plus profond de marchandisation de la connaissance.

Ce qui m’a étonnée, c’est qu’à aucun moment n’est évoqué ce que devrait être la finalité visée des sciences, son « usage ultime ». Est-ce que par cela est une question de point de vue ? Ne peut-on pas raisonnablement penser qu’il s’agirait tout simplement de rendre les gens plus heureux, de manière équitable et durable ? Rien n’est dit à ce sujet.

Le contenu de ces 12 documents est assez varié, de par la méthodologie employée mais aussi les domaines analysés. Si quelques-uns sont un peu techniques et spécifiques, globalement l’ouvrage est accessible à toute personne qui s’intéresse au sujet.

Différents indicateurs existants sont susceptibles de refléter l’usage des sciences et notamment l’eurobaromètre. Cet outil est utilisé depuis les années 70 pour connaître « l’opinion publique européenne », avec toutes les précautions que cette notion, reflet d’une opinion qui n’a rien de monolithique, implique. Ce baromètre est surtout valable pour comparer l’évolution dans le temps de cette opinion. Il a par exemple permis de montrer que la « valeur d’usage » des sciences et techniques est plutôt remise en cause depuis quelques années, et notamment en France, où les français sont moins nombreux à répondre tout à fait d’accord à une affirmation du type « La science et les technologies rendent nos vies plus faciles, plus confortables et nous font vivre en meilleur santé ». Il est également précisé dans cette partie, de manière informelle, ce que certains appellent les différents sens du mot science (voir la thèse de Richard Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique - Zététique & utilisation des interstices pseudoscientifiques dans les médias). Il peut en effet renvoyer aux nouvelles technologies, au corpus de connaissance, à la méthode scientifique, ou encore à la communauté scientifique et ses institutions. Il est ainsi bon de préciser à quel sens on renvoie lorsque l’on parle de « science ».

Dans un autre chapitre, les auteurs retracent très brièvement l’histoire du rapport des « profanes » ou du « grand public » avec les sciences et les scientifiques. Bernadette Bensaude-Vincent décrit la distance qu’il y a eu depuis le siècle des Lumières entre, d’un côté les savants et la « science » considérée comme par delà le Bien et le Mal, de l’autre, la masse passive de consommateurs de science vulgarisée. Depuis quelques années, ces « profanes » sont devenus des « citoyens » et peuvent remettre en cause la partialité des affaires scientifiques ( au sens des sciences et de leurs institutions) ou les problèmes inhérents aux nouvelles technologies. Ce qui est plutôt une bonne chose pour limiter l’emprise de la technocratie et financiarisation.

D’autres chapitres présentent la façon dont s’articulent ces échanges entre scientifiques et non scientifiques, et soulignent l’importance des médiateurs (les journalistes, mais aussi les artistes ; tout un chapitre y est d’ailleurs consacré, ce qui est au premier abord un peu déroutant puis finalement agréable). Les auteurs évoquent également le développement des logiciels et plateformes libres (Open Editions, Science commons, Open Data…) qui permettent de rendre les résultats des sciences plus accessibles, y compris pour des usages non académiques.

Cet ouvrage m’a beaucoup plu à double titre ; d’abord parce qu’il pose des questions intéressantes tout en s’appuyant sur des faits et des initiatives diverses pour y donner des bribes de réponse ; ensuite parce qu’il renvoie vers de nombreux travaux et ouvrages concernant cette question princeps de la valeur d’usage des sciences.