Agence Hardy, tome 1 : Le parfum disparu
de Pierre Christin (Scénario), Annie Goetzinger (Dessin)

critiqué par Shelton, le 12 janvier 2014
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Une superbe série dans le genre polar/espionnage !
Faire de la bande dessinée, pour beaucoup, en raison des souvenirs de jeunesse et des magazines dédiés, c’est un jour se lancer dans une série… Qu’elle soit policière, fantastique ou de science fiction, ce n’est pas le plus important. Ce qui compte c’est de raconter une histoire avec des personnages récurrents, avec des volumes à venir, avec ce diabolique « à suivre » qui a traumatisé de si nombreux lecteurs depuis des décennies…

Pour les plus jeunes lecteurs de bandes dessinées, cette attente de la suite est un mystère car ils veulent tout et tout de suite. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons de plus en plus d’albums dits « one shot », histoire complète sans suite, même s’ils appartiennent à des séries concept comme 7, Le Casse, Jour J, L’homme de l’année, Secrets… et j’en oublie de très nombreuses. Attention, cela ne signifie pas que le jeune lecteur soit incapable d’attendre une suite. Le succès actuel de quelques magazines jeunesse illustre parfaitement qu’il y a encore une place pour ces histoires à suivre…

Mais revenons à notre propos. Pierre Christin et Annie Goetzinger ne s’étaient encore jamais lancés dans une série (je veux dire ensemble car Pierre Christin est le scénariste, entre autres, de la série Valerian !). En 2001, les voilà qui s’embarquent dans L’agence Hardy pour le plus grand plaisir des lecteurs qui les avaient suivis depuis des années (La Demoiselle de la Légion d’Honneur, Paquebot, La Sultane Blanche…).

Alors tentons de vous donner quelques éléments précis pour vous donner envie de plonger dans cette série sans retenue. Tout d’abord, l’agence est située dans Paris, dans le XIIe arrondissement pour être précis. Le premier album commence en 1955, une date qui parait lointaine mais qui surtout provoque le dépaysement complet du lecteur. C’est l’époque de la guerre froide, des barbouzes et officines obscures, des voitures que l’on ne reconnait même plus, les rationnements encore bien réels de certains produits, des rapports étranges entre les personnes où le sexe n’est pas immédiat, bref, cette histoire se passe dans un monde sans téléphone portable, sans ordinateur… C’était hier mais c’est si loin que l’on n’imagine même pas tout ce qui est venu révolutionner la vie en cinquante ans…

Edith Hardy, femme d’une quarantaine d’années, veuve, a créé pour vivre une agence de détective privé. Elle enquête sur les histoires de familles, sur les origines des tableaux, sur les petits problèmes des familles et des entreprises. Elle a un jeune homme, Victor, qui lui sert d’adjoint, de faire valoir, de secrétaire, d’homme à tout faire, mais en tout honneur…

Le premier volet de cette série va s’étendre sur trois albums, avec une histoire principale et quelques éléments secondaires pour planter le décor. Certains lecteurs et critiques ont regretté le nombre importants de détails, d’aspects divers qui sont venus se greffer dans ces trois premiers albums. Je vous avoue que pour ma part j’ai adoré cette façon de raconter les faits. Nous ne sommes pas dans l’agence Hardy pour résoudre une enquête, comme dans n’importe quel policier classique, nous sommes ici, avant toute chose, pour suivre une femme dans son travail, dans sa vie. L’agence Hardy est avant tout la vie d’Edith Hardy ! Pierre Christin et Annie Goetzinger aiment raconter des destins de femmes, ici, encore une fois, c’est bien l’objectif principal…

Certains personnages secondaires sont parfaits eux-aussi comme Marinette, l’amoureuse transie du chimiste disparu Antoine Dubreuil ; comme la maman de Victor, mamma italienne pur jus ; enfin, pour ne pas tous les citer, ajoutons ce fermier parisien très sympathique…

Je ne rejette pas l’idée, bien factuelle, que cette série est aussi policière et teintée d’espionnage. Je garde même cette couleur importante de l’histoire car elle évidente et d’une rare qualité. Le mécanisme de cette première saison, comme on dirait aujourd’hui, relève d’une orfèvrerie minutieuse avec des représentants du KGB, du SDECE, de la CIA, du Parti communiste, des intellectuels compagnons de route du PC, de la classe ouvrière qui ne comprend pas toujours les enjeux supérieurs – supérieurs pour qui d’ailleurs ?– et des médias… Ah, j’oubliais, on a bien sûr, les savants, brillants ou médiocres, manipulés ou impliqués dans les réseaux de renseignements, mercantiles ou pas, purs et/ou amoureux… Oui, franchement, le scénario de Pierre Christin est solide, raffiné, complexe, prenant…

Quant à la narration graphique d’Annie Goetzinger elle est égale à elle-même et on retrouve-là tous les éléments qui nous ont emballés dans ses albums les plus célèbres comme La Diva et le Kriegspiel, La Sultane Blanche ou Charlotte et Nancy…

Voilà, une bonne série avec un premier album de qualité qui m’a enchanté en tant que lecteur. Il est vrai que j’aime le polar et l’espionnage, que j’aime cette façon qu’ont Christin et Goetzinger de planter leurs personnages, que j’aime cet univers des années cinquante et qu’enfin j’apprécie énormément le graphisme de Goetzinger, sa façon de dessiner les visages, d’habiller les femmes… Bref, je ne pouvais qu’aimer L’agence Hardy et j’espère qu’il en sera de même pour vous !