La demoiselle de la Légion d'honneur
de Pierre Christin (Scénario), Annie Goetzinger (Dessin)

critiqué par JulesRomans, le 11 janvier 2014
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Sortie de l'école de la Légion d'honneur pour entrer dans un univers vagabond d'horreurs
Cette BD est parue dans le journal "Pilote" durant l’été et l’automne 1979, le scénario en est de Pierre Christin (à qui on doit les textes de "Valerian"). La légende raconte que le chancelier de la Légion d’honneur d’alors, sans mentionner qu’il s’agit d’Alain de Boissieu le gendre du général de Gaulle (preuve supplémentaire qu’il s’agit d’une légende), aurait rencontré Annie Goetzinger pour se plaindre du contenu de cet album. Il est évident que s’il y avait quelqu’un à réprimander cela aurait été Pierre Christin.

Le récit s’ouvre au présent sur l’entrée en 1954 d’une orpheline (de père et mère tués en Indochine, on l’apprend par le récit mais pas par des vignettes) à l’école de la légion d’honneur. Celle-ci semble fonctionner un peu comme une caserne, rappelons qu’elle accueille alors les filles d'un officier ou titulaire de la légion d’honneur qui sont morts pour la France à titre gracieux, mais également à titre payant une fille d’officier par famille, si cette dernière le désire. Si la dimension disciplinaire me semble un peu exagérée, l’esprit de pudibonderie entre filles est encore plus caricaturée, l’impasse étant faite sur les relations saphiques qui existaient de façon conséquente au début du XXe siècle et qui n’avaient peut-être pas disparues. Rappelons au passage que l’auteur de ses lignes a recueilli les témoignages de sa grand-mère et de sa grande tante sur cette très honorable maison. On était très fière d’en avoir été élève et le niveau d’instruction qui y était dispensé fournissait de très sérieuses bases culturelles que nous avons pu vérifier.

Aline l’héroïne de la BD quitte l’institution pour se marier, elle le fait avec un officier Saint-Seurin chaud partisan de l'Algérie française et issu d'une famille vendéenne (elle se marie à l’église d’un petit village proche de Luçon). Ce dernier quitte assez vite l’armée mais avant il a joué les porteurs de valise pour l’argent de l’OAS, ce qui nous vaut une planche sur l’Algérie d’avant l’indépendance.

Saint-Seurin sert comme mercenaire dans un pays africain dont il regrette au passage l’indépendance, Aline l’y suit. On est au milieu de l’album et il reste à celle-ci tout d’abord à voir mourir son amant après que son mari soit tombé dans le coma. La voilà amenée à vivre dans un village africain isolé, ce qui lui fait découvrir l’excision pratiquée sur les filles du village (une planche sur le sujet).

Elle part avec un coopérant cubain pour son pays puis pour l’Argentine, justement celle décrite dans "Mafalda" par Quino, dont nous avons récemment chroniqué l’intégrale. Ce Cubain décédant de mort violente, comme tous les hommes qui l’approchent, elle rejoint les USA, avec un Américain, en pleine période de contestation liée à la Guerre du Vietnam. Elle ne rentre en France que peu avant mai 1968, fréquentant un sénateur gaulliste tué par son propre fils.

Nous approchons de la fin du récit et une situation matérielle précaire va finir par l’amener à continuer à bouleverser ses idées d’origine sur la vie. Elle retrouvera et élèvera son fils dans des circonstances qui pointent également les changements qui ont pu se produire dans la façon d’élever les enfants tout au long des années 1960. Enfin de compte cet album est le reflet de l’évolution de la condition féminine durant les Trente glorieuses.

On apprécie le graphisme d’Annie Goetzinger qui rend bien chaque époque et chaque lieu. Elle nous a promené dans l’essentiel de ce qui fait l’histoire mondiale de cette période : guerres de décolonisation, Afrique enjeu de la guerre froide, dictatures et poussées révolutionnaires en Amérique latine, conséquences internes aux USA de la Guerre du Vietnam, mai 1968, mouvement de libération des femmes (MLF).