Parias
de Pascal Bruckner

critiqué par Libris québécis, le 9 juillet 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Les Adeptes occidentaux de l'Inde mythique
Ce roman magnifique retrace la mode des adeptes de la mystique hindoue. «a se passe au plus fort de la crise occidentale de 1980 alors que les jeunes tentent de trouver une voie à la décadence de la civilisation judéo-chrétienne.
Quand on parle de décadence, il faut toujours rattacher ce phénomène à l'argent. Ce fut l'époque de la dégringolade des cours à la bourse, de l'inflation galopante et de tous les maux reliés à l'économie capitaliste. Quand les portefeuilles s'amincissent, il se crée toujours un attrait pour une autre culture, même si cette dernière minimise les femmes et ses pauvres.
Avec ce roman, on se retrouve donc en Inde avec des gens brillants. On fera connaissance avec un archéologue français couvé par sa mère, un agronome américain, un fonctionnaire français et quelques locaux comme une petite mendiante de Bombay, un professeur de Calcuta et une jeune Bengali. Fascinés par l'Inde sans la comprendre, les personnages occidentaux (hippies, junkies et compagnie) tentent d'échapper aux contraintes de notre civilisation, qui apparaissent pires quand l'économie est mal en point. Dans leur tête, ils portent une Inde magique, fantasmatique, une Inde curative de tous les maux des Occidentaux. On oublie la démesure, la misère extrême, les batailles de clan, les femmes reléguées au second plan et souvent forcées au suicide à la mort de leur mari. Si soeur Thérésa a été attirée par ce pays, il faut comprendre que ce n'était pas pour se trouver une identité en mastiquant des feuilles de qat. Elle n'y allait pas pour se faire porter par la mystique mais pour porter son aide à un peuple en détresse. Comme dit Réjean Ducharme, la détresse de l'un ne peut pas sauver l'autre de sa détresse.
La détresse stresse au point qu'elle conduit à la criminalité. Le pire, dans ces conditions, c'est que les assassinats apparaissent comme des actes messianiques pour laver l'humanité de ses péchés. L'.vangile semble répondre aux besoins des humains. La rédemption passe par l'épreuve sanguinaire. Les héros cloués à leur croix existentielle apprendront qu'ils ne peuvent réécrire l'.vangile sans frapper à la porte de la folie. Par temps de mésaises, s'ils n'atteignent pas l'abîme du rêve, ils s'intéressent davantage à l'abondance des portefeuilles qu'à celle des fautes.
Bruckner est un bon conteur. Il a les mains d'un philosophe, qui sait pétrir la pâte pour en faire des romans nourrissants.
Kerouac aux Indes 9 étoiles

Kerouac aux Indes.


L'incorrigible et mal aimé Bruckner remet le couvert ! Avec son style caustique il décortique l'Inde avec parcimonie, en suivant son héros (un jeune fonctionnaire français) en vadrouille dans ce grand losange surpeuplé.
Chemin faisant, des amitiés se tissent et se détruisent, des personnages s'acoquinent puis se séparent et enfin se retrouvent.
On retrouve "L'équilibre du monde de Mistry", sauce Kerouac. L'auteur va fort et dans tous les sens.
Exemple : " Un cataclysme qui s'appelle Islam s'est abattu sur l'Inde et a freiné l'appétit de vivre, le bonheur corporel. L'islam avec sa fureur iconoclaste, son zèle prosélyte, non content de détruire des milliers de temples, a dévié de manière irréparable la grande civilisation hindoue"
les mots sonnent juste et font souvent mal.

Si le lecteur devait éprouver à cette lecture une baisse de régime et ressentait l'envie de "sauter" quelques pages ou pire - d'envoyer valdinguer le bouquin (car soyons francs, tout ne peut plaire à tous), je l'invite à prendre sa décision après avoir lu l'épisode du taureau dans le sous-chapitre "Sa majesté bossue". (le roman étant parfaitement subdivisé). C'est hilarant et les descriptions valent le détour.

Vivre en Inde, c'est vivre ce moment glorieux où tout reste encore possible, où l'on ne sera jamais comme personne.
Une incontournable lecture pour cerner Bruckner, un très bon moment.

Monocle - tournai - 64 ans - 31 janvier 2016