Routes sans lois
de Graham Greene

critiqué par Saule, le 26 janvier 2014
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
A la frontière de l'enfer
Dans le prologue de ce récit, Graham Greene raconte comment enfant il avait la sensation de vivre à la frontière de l'enfer : son père étant recteur du collège ou il était en pensionnat, la maison familiale n'était séparée que par une porte de la vie communautaire d'un pensionnat d'enfant, une vie haïe par le jeune Graham Greene et qui était son lot pendant la semaine. Ce qui fait qu'enfant, c'est d'abord l'enfer qui ait été peuplé de figures et ce qui explique sa foi dans le ciel (il faut avoir vécu en enfer pour avoir la foi).

Son voyage au Mexique en 1938, alors que le pays est en proie à une persécution religieuse et que les catholiques doivent se cacher pour célébrer, s'apparente à un voyage en enfer. Le ton si typiquement pessimiste mais terriblement humoristique de Graham Greene fonctionne comme dans ses meilleurs romans. Son récit est tellement amusant que c'est un réel plaisir de l'accompagner dans son voyage "en enfer". A dos de mulet, en avion, en train, il a fait tous les moyens de transport pour arriver dans les coins les plus reculés, où les combats pour l'âme des indiens entre les rares prêtres qui se cachent et le gouvernement ont lieu.

Greene voyage avec l'oeil du romancier et on voit bien que chaque rencontre pourrait être un personnage d'un de ses romans. Les mexicains en prennent pour leur grade, avec leur infantilisme et leur esprit mystificateur qui font chaque fois miroiter la présence d'un avion ou d'un train qui en fait n'arrive jamais. La matière de laquelle est tirée son plus fameux roman, "La puissance et la gloire", est tirée de ce voyage et en particulier d'un coin du Mexique qui semblait être le pays du diable dans lequel un prêtre clandestin officiait secrètement alors que toute la police était à sa poursuite.

Quelques citations, assez humoristiques et dans lesquelles on sent poindre l'exaspération de l'auteur pour les mexicains :

"Ce qu'écrivent les admirateurs des mexicains, qu'ils sont toujours de bonne humeur quelle que soit la situation où ils se trouvent, est parfaitement vrai ; mais il y a une part d'infantilisme horrible dans leur bonne humeur; aucun sens de la responsabilité humaine ; et rien ne distingue cette jovialité de la violence qui les pousse à tirer des coups de feu".

"Les hommes ne peuvent se rencontrer dans la rue sans échanger des bourrades comme des écoliers. Le royaume du ciel, dit-on, est réservé aux petits enfants, mais ces adultes ne sortent jamais d'une adolescence cruelle et anarchique".

Un livre qui comblera de plaisir les amateur du grand romancier et qui donne un éclairage intéressant sur son oeuvre, à travers le très intéressant prologue.