Les Jésuites. Une multibiographie, tome 2 : Les Revenants
de Jean Lacouture

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 12 janvier 2017
(Ottignies - 88 ans)


La note:  étoiles
Quand les Jésuites écrivent l'Histoire
Le tome II de : Jésuites, « Les revenants », est moins épique mais tout aussi passionnant – si pas plus – que le tome I : « Les conquérants ».

Dans ce tome, Jean Lacouture nous raconte toute l’Histoire des Jésuites, depuis leur bannissement par le Pape Clément XIV en 1773 jusqu’à nos jours ; et c’est toute l’Histoire de France et d’Europe qui nous est racontée, en prenant la Compagnie de Jésus pour fil conducteur, ce qui est une approche de l’Histoire vraiment intéressante.

C’est aussi, et entr’autres, toute l’Histoire des Papes des trois derniers siècles, avec les débats, les rivalités et les controverses qui ont enflammé leurs rapports avec les Jésuites au sujet des grands problèmes de leur temps.
En un mot, ces conflits ont toujours existé : les Jésuites constituent l’avant-garde de l’Église et la Curie romaine a le plus souvent un siècle de retard sur son époque.

Par exemple, sous le très faible Pie IX, le Vatican refusait de reconnaître Darwin et le modernisme scientifique. Alors que les Jésuites le suppliaient de ne pas recommencer le déplorable procès de Galilée.
Après ce fut la Commune de Paris et sa violence anticléricale où, malgré quelques interventions diplomatiques de Léon XIII, tant de Jésuites furent fusillés. Puis les lois de la Laïcité avec les honteuses expulsions des Jésuites, conduits « manu militari » aux frontières, comme tous les autres religieux de France, malgré les trop timides admonestations du Vatican.

Après ce fut la seconde guerre mondiale où le germanophile Pie XII, appuyé par la Curie romaine, recommandait « la sainte obéissance » au pouvoir légitime (!) de Vichy, obéissance à laquelle les Jésuites, dans leur énorme majorité, se sont toujours opposés, ce qui a coûté la vie à des milliers d’entr’eux.

Le bon chrétien qu’est Jean Lacouture est avant tout un historien ; il ne se prive pas de tirer à boulets rouges quand le clergé est retardataire ou inconscient des réalités du monde. C’est ce qui le rend passionnant ; s’il aime les Jésuites, il est toujours objectif et sait faire la part des choses et puis, il est toujours formidablement bien informé.

Il nous raconte encore, parmi d’autres innombrables péripéties, les incroyables querelles entre Paul VI et la Compagnie de Jésus ; et puis l’extraordinaire brutalité de Jean-Paul II qui, comme par malin plaisir, humiliait les Jésuites, comme il avait humilié les héroïques Pères latinos partisans de la Théologie de la Libération.

Oh ! Dieu de miséricorde ! C’est ça notre « sainte » Église ! Il faut parfois s’accrocher... 
Mais il faut le dire, la vie glorieuse des Jésuites a eu des éclipses. Il y eut des moments de divisions, d’hésitations et même d’erreurs. Malgré son admiration pour la prestigieuse Compagnie, Jean Lacouture ne passe rien sous silence.

Il raconte encore la vie de quelques Pères Jésuites hors du commun, des personnages d’un héroïsme inouï, qui ont fait l’honneur de l’humanité : entr’autres, ce R.P. De Smet, un missionnaire venu de sa Flandre profonde, qui est parti annoncer la Bonne Nouvelle chez les Indiens. Un missionnaire dont les Indiens disaient qu’il était le seul Blanc dont la langue n’était pas fourchue et qui a conclu, au nom des E.-U, des accords de paix avec ceux qu’on appelait « les sauvages » ; accords de paix qui, entre parenthèses, n’ont jamais – oui, jamais ! – été respectés par les Blancs !
Ces aventures du R. P. De Smet devraient, comme le dit Jean Lacouture, faire l’objet d’un livre complet, tellement elles sont prodigieuses et pourtant, rigoureusement authentiques. Dans les pires tourments de l’humanité, ce type de personnage nous permet d’espérer qu’un jour le monde sera meilleur. Et c’était un Jésuite... !

Il y eu encore l’immense savant paléontologiste, le R.P. Teilhard de Chardin qui, lui aussi, condamné pour hérésie par les Monseigneurs romains, a été exilé en Chine et a fait sa soumission, fidèle à ses vœux d’obéissance ; alors qu’aujourd’hui les chrétiens et non-croyants du monde entier le considèrent comme un précurseur, un prophète, un saint.

Ce livre, dans son ensemble, est parfois long et parfois difficile à lire. Jean Lacouture sait trop de choses et tient absolument à tout raconter.
Quand il parle du concile Vatican II, on dirait qu’il y était tant il sait absolument tout ce qui s’y est passé. Mais c’est toujours passionnant. Par exemple, il met en évidence cette dramatique conséquence du concile, quand Paul VI l’a dénaturé jusqu’à supprimer ses ouvertures sur la modernité : la démission de près d’un quart des Jésuites, dégoûtés par l’entêtement du Vatican à ignorer les réalités du monde d’aujourd’hui.

Pour conclure cette trop longue critique, je dirai que ce tome II, peut-être plus encore que le tome I, est pour ceux qui s’intéressent à l’Histoire en général, et à l’Histoire des religions en particulier, d’un intérêt absolument prodigieux.