Manhattan
de Anne Révah

critiqué par Paofaia, le 1 janvier 2014
(Moorea - - ans)


La note:  étoiles
Continuer?
Un premier et très court roman.
Une fuite après la découverte d'une maladie neurologique. Et des règlements de comptes dans une lettre à la mère assez glaçante.

Allez, il faut commencer par le plus délicat. Je dois te faire un premier aveu, une première brèche dans le joli tableau que tu contemplais: il faut que je te dise la vacuité qui trône en moi. La formulation en est simple, sans équivoque: je ne sais pas....

C'est en fait le récit, très concis, sans aucune fioriture , d'un état je dirais de dépersonnalisation, mais je ne suis pas certaine de la qualification exacte, et peu importe. D'une femme qui , apparemment seulement, vit une vie qui semble "normale", mais qui joue à la vivre. Qui ne procède que par imitation. C'est très bien vu et décrit..
Et ceci à la suite , comme souvent, de traumatismes d'ordre sexuel répétés, subis pendant l'enfance et dont elle n'a jamais parlé.

J'aurais aimé que quelqu'un sur le chemin me donne un corps. Pas celui de l'enfance, pas celui de l'Allemande, un corps d'adulte; j'aurais voulu qu'il y ait quelqu'un sur mon chemin pour suspendre la chute..
Le temps d'une vie je ne l'ai plus, ce qui reste est compté. Je n'ai pas pu me regarder grandir, puis vieillir. Dans la voix du neurologue, j'ai entendu qu'il y avait un déroulement aux choses et aux évènements, une courbe, un mouvement irrépressible qui rythmait nos vies sans que rien ne puisse en être modifié. Jusque-là, les scènes étaient fixées dans une douleur silencieuse, je les voyais s'imposer sans que rien ne m'en protège, le temps ne les altérait pas. Que les années passent sur les faits ne changeait rien à la texture violente des images qui m'envahissaient. La vie était une répétition inlassable, rien ne se perdait dans ce flot bourbeux. Je n'avais jamais imaginé que la vie pouvait être différente, j'avais accumulé la vivacité des images, j'étais une caisse pleine d'archives vivantes...


Assez bouleversant.

En exergue, Samuel Beckett( L'innommable):
il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer..