Hôtel particulier
de Guillaume Sorel

critiqué par Blue Boy, le 29 décembre 2013
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Une charmante rencontre entre littérature et fantastique
Dans un Paris contemporain, la jeune Emilie décide, à la suite d’un dépit amoureux, de mettre fin à ses jours. C’est alors que son fantôme, sous le regard d’un chat complice, va entreprendre une quête impromptue à travers les étages du vieil immeuble, apprenant ainsi à connaître ses habitants dont certains relèvent du pittoresque, qu’il s’agisse des êtres humains en chair et en os qui ne peuvent la voir, à la différence des créatures « invisibles » peuplant le bâtiment…

Sorel nous propose ici un voyage au sein d’un immeuble dont il brise les murs pour le transformer en un vaste continent des rêves et de l’imaginaire. C’est totalement sous le charme que l’on suit cette Ophélie rimbaldienne flottant dans les airs et traversant comme bon lui semble les parois et les plafonds, prenant un plaisir croissant à hanter les lieux et pénétrer à leur insu l’intimité des vivants. C’est ainsi que l’on survole les joies et les souffrances des protagonistes. Ici un couple désemparé dont l’enfant a mystérieusement disparu, là un amant au cœur brisé pourchassé par les huissiers, ou encore un étage plus haut, une sorcière pour qui les chats sont juste bons à faire des civets… Cette « promenade » donne également lieu à des rencontres aussi incongrues que surprenantes entre personnages de contes et de fiction, grâce à l’un des habitants, hédoniste solitaire amateur de bonne chère et de littérature, capable d’insuffler la vie aux personnages de son imposante bibliothèque. Il est plutôt amusant en effet de voir Miss Marple en compagnie notamment de Lolita et du baron de Münchhausen. L’ouvrage abonde également de références littéraires, à commencer par « Alice au pays des merveilles » qui lui permet de jouer de façon très poétique avec les miroirs…

L’histoire est sublimée par le magnifique trait au lavis de Sorel, qui d’après moi fait partie des dessinateurs les plus talentueux dans le monde du neuvième art, aussi doué dans l’utilisation de cette technique que dans l’aquarelle (« Les derniers jours de Stefan Zweig »). Impossible de rester de glace en contemplant ces vues splendides des toits de Paris.

Je me suis laissé très vite charmer par ce fantastique du quotidien, intemporel, bien plus troublant que tout ce qu’a à proposer l’ensemble des blockbusters hollywoodiens réunis… On pourra peut-être juste reprocher une certaine froideur, compensée largement par la poésie des images et un humour tout en retenue pour une histoire dont le point de départ (le suicide) était plutôt glauque. Sinon j’ai bien aimé le matou, sorte de sphinx mystérieux régnant sur la vie de cet immeuble et à qui rien n’échappe, habitué aux frasques des humains mais prêt à sortir les griffes dès lors que l’on s’attaque à ses congénères. Pour ma part, je ne regarde plus les chats tout à fait de la même manière depuis cette lecture…