Prussien malgré lui - Récit de guerre d'un Lorrain 1914-1918
de Pierre Jacques

critiqué par JulesRomans, le 27 décembre 2013
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
Prussien malgré lui et Français à l’insu de son plein gré
"Prussien malgré lui" est à l’origine un court roman, il paraît en allemand dans un journal de la presse catholique de Metz puis est édité en livre en 1931, sous la plume d’un professeur mosellan qui fut instituteur dans le Reichsland à la Belle Époque et enseignant dans une école de commerce (niveau fin de collège) durant la Grande Guerre.

S’il pourrait passer pour un roman historique, il pourrait aussi être qualifié d’autobiographie. Non l’autobiographie de Pierre Jacques son auteur, mais celle collective (à travers l’un d’entre eux) des Lorrains domiciliés en Alsace-Lorraine qui durent endosser l’uniforme allemand. Cependant ici ce n’est que l’immédiate avant-guerre et le tout début de la guerre qui sont évoqués. Voilà le récit d’un jeune homme né en Lorraine annexée, allant faire ses études secondaires de l’autre à l’école des frères de Longuyon (en Meurthe-et-Moselle, ce qui n’est pas signalé dans les notes) devenue école privée (car les lois de 1905 sont passées par là, autre oubli en remarque) et trouvant un emploi de bureau dans l’usine de Wendel de Moyeuvre (dans le Reichsland).

Mis-à-part ces deux précisions, la première étant capitale pour la compréhension de la suite de récit, une autre note aurait été utile et à deux reprises. Page 39 si le maire de Boulange se dit peu pressé de devenir prussien et est nerveux, c’est que c’est pour lui la surprise de sa vie et si page 41 on parle de la fausse prétention des habitants de Lommerange à propager l’idée que le tracé de la frontière avait été modifié au dernier moment pour un échange, c’est qu’après la signature du traité de Francfort fut négocié à l’initiative Thiers l’échange de communes entre Belfort et le Ballon d’Alsace et au sud-est de cette même ville, contre douze villages lorrains à l’est de Thionville.

Outre que d’expliquer, bien trop pédagogiquement pour une fiction, l’enchaînement qui conduit à la guerre, ce récit apporte des informations sur d’autres points. C’est évidemment la suspicion qui entoure les recrues d’Alsace-Lorraine au sein de l’armée allemande, la description du village d’Audun-le-Roman (en Meurthe-et-Moselle) brûlé parce que les soldats allemands croient s’y tenir des francs-tireurs du 21 août (page 89-90), le fait que les Alsaciens sont des colonisateurs de second ordre en Lorraine annexée, l’importance du catholicisme en Lorraine alors que l’Alsace a des îlots protestants autochtones, l’idée largement partagée par l’ensemble des habitants du Reichsland que l’avenir souhaité est pour eux en 1914 l’obtention d’une large autonomie dans l’Empire allemand, que l’essentiel de la propagande allemande se tournait non seulement contre les Russes mais aussi contre les Anglais (les Français arrivaient bien loin derrière) avec le slogan "Gott strafe England" ("Dieu punisse l'Angleterre") inventé par l’écrivain allemand d’origine juive mais de religion protestante Ernst Lissauer. À partir de l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933, il fut interdit de publication en Allemagne ; il résidait à Vienne depuis 1924.

Les pages d’introduction des auteurs des notes et de Jean-Noël Grandhomme sont fort intéressantes, elles rappellent que le soldat le plus inconnu de la Grande Guerre est, pour les populations d’Europe occidentale et centrale, le feldgrau d’Alsace-Lorraine. Sont cités là les témoignages publiés de soldats alsaciens-lorrains dont on dispose, sans la mention de celui très récent du jésuite Aloyse Stauder "Un Lorrain dans la tourmente".

La façon dont sont traitées les recrues alsaciennes et lorraines dans l'armée allemande pendant la guerre est donc pointée tant sous la plume d'Aloyse Stauder que de celle de Pierre Jacques. Pour se faire une idée de l'esprit du corps des officiers présents dans le Reichsland, on dispose, d'ailleurs décrit de l'intérieur par le Lieutenant Bilse, d'un ouvrage temporairement interdit en Allemagne. Ce dernier rencontre un franc succès en France où il est traduit en 1904 par "Petite Garnison". Ce livre devrait être réédité durant l'année 2014 en français par les éditions Le Polémarque; il est à noter que la description à peine romancée est celle de la garnison de Forbach en Lorraine.