J'enterre mon lapin
de François Barcelo

critiqué par Libris québécis, le 1 juillet 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Le Déficient mental
La déficience mentale constitue un filon que les romanciers exploitent avec une main assez heureuse si je me fie à ce que j'ai lu. Que ce soient Confessions d'un barjo, Vol au-dessus d'un nid de coucou, Mon Frère de la planète des fruits ou Des Fleurs pour Algernon, toutes ces oeuvres soulignent le potentiel qui mériterait aux victimes un meilleur sort et une plus grande attention de la part d'autrui.
Dans J'enterre mon lapin, François Barcelo apporte sa contribution pour que la déficience des nôtres soit davantage respectée. Il montre les possibilités encore grandes de ces handicapés intellectuels, en l'occurrence celles de Sylvain Beausoleil que l'on insère dans la société en lui fournissant un emploi simple dans une agence gouvernementale de la gestion des greffes. En dépit de sa déficience mentale et de son mutisme par surcroît, il s'acquitte fort bien de sa tâche, qui consiste à glisser les lettres que l'on envoie aux futurs greffés dans des enveloppes qu'il cachette. Et, en quittant son travail, il va les déposer à la poste. A la maison, il se montre tout aussi efficace. Il vit seul dans petit appartement en payant toutes les dépenses afférentes à un logement. Il a même prévu à son budget une certaine somme pour aller boire une ou deux bières au bar Chez Beaubien. Encore mieux, il projette de s'acheter une voiture. La déficience n'annihile ni les ambitions et ni le désir.
Ce jeune homme de 25 ans s'accomplit avec les moyens du bord. Son beau-frère, qui lui a donné un ancien ordinateur, va l'initier à cette technologie qui s'avèrera libératrice. Clique ici, clique là et le voici prêt pour le traitement de textes. Que va-t-il écrire? Un livre. rien de moins. Comme Sylvain le dit lui-même, « écrire un livre c'est plus facile que d'en lire. On a pas besoin de se demander ce que ça veut dire parce qu'on le sait d'avance. »
Ainsi, chaque jour, il confie son quotidien à son ordinateur. On pourrait presque percevoir le lecteur comme le destinataire du courrier électronique de Sylvain, qui s'imagine écrire sans fautes à cause de la fonction correctrice dont est muni son appareil.
Il livre toutes ses impressions de la journée. On s'aperçoit que
son handicap ne l'a pas privé totalement du sens de la déduction. Il réalise que l'on profite des faiblesses du système pour recevoir une greffe en priorité. Lui-même sera soudoyé pour que certains noms figurent sur la liste des bénéficiaires d'un organe qui leur évitera une mort certaine.
Le lecteur est renseigné sur les pratiques qui manquent de rectitude, mais qui sont très avantageuses pour certains. Toutes les bassesses, tous les mensonges semblent permis au royaume des greffes.
Ce roman couvre une triste réalité. On sent que tous tentent de tirer profit des autres, voire de leur mort. En plus, le héros, qui souffre de rejet à cause de son handicap, se voit imposer le mensonge d'autrui. Il a vécu depuis l'âge de trois ans dans un monde occulte. On a abusé de sa situation, parfois pour le protéger, mais souvent la vérité éclate en pleine lumière au moment où on s'en attend le moins.
Et c'est là qu'elle fait vraiment mal, surtout quand ton père que tu croyais mort vient sonner à ta porte.
Ce qui s'annonçait une lecture amusante à cause de l'écriture enfantine de Sylvain se transforme à notre insu en drame épouvantable : un père rend son enfant muet et déficient après avoir tué sa femme. Quand le héros apporte la disquette de son texte à son beau-frère, on comprend sa réaction : «J'espère que tu n'as pas montré ça à quelqu'un.» Un loisir a contribué à sonner l'heure de la vérité. Et comme on dit : «La vérité sort de la bouche des enfants.» Il faudrait compléter cet aphorisme en ajoutant «et des déficients». Il ne faut pas croire que ceux-ci enterrent nécessairement leur lapin, c'est-à-dire qu'ils ne comprennent rien. Et comme toujours, la plume de Barcelo est efficace.