Les Feux du Bengale
de Amitav Ghosh

critiqué par Rotko, le 19 juin 2003
(Avrillé - 50 ans)


La note:  étoiles
Texte et tissage.
Alu, orphelin indien, débarque dans sa nouvelle famille du kerala où son oncle, phrénologue passionné, décide de ses capacités et de son avenir. Il sera tisserand, et effectivement, il manifeste dans cet art du tissage des capacités étonnantes. Mais l'environnement humain est plein d'intrigues et de rivalités, les malentendus s'accumulent, si bien que le jeune héros et ses compagnons de rencontre connaissent une vie trépidante qui leur fait parcourir le vaste monde.
Les personnages hauts en couleurs abondent dans ce récit picaresque aux épisodes tantôt comiques, tantôt tragiques. Des théories pleines de verve expliquent le monde, sous l'angle du coton et de la machine à tisser, ou du combat de la Raison contre les superstitions. Les idées circulent et s'entrechoquent, les objets mêmes, tel "la vie de Louis Pasteur", livre culte, ont des aventures. Les foules passent de la liesse spontanée à l'enthousiasme, de la colère au désespoir. L'histoire rebondit sans cesse, et chacun raconte ses tribulations, comme si la vie avait besoin de multiples narrateurs pour montrer sa foisonnante complexité. L'ensemble devient donc une toile luxuriante où les histoires s'imbriquent et se mêlent, comme les fils du tisserand inventif.
Tissage, texture, texte, le lecteur en prend plein les mirettes.
Il y a du Salman Rushdie dans cet Amitav Ghosh 8 étoiles

Oui, il y a du Salman Rushdie dans ce roman d’Amitav Ghosh, assez différent d’autres lus tels « Lignes d’ombre » ou « Le pays des marées », plus narratifs, moins oniriques. Onirique, « les feux du Bengale » ? Pas à proprement parler, mais bien loin de la ligne claire de la narration du « pays des marées ». Pas exactement onirique mais à la frange, à la marge. Ca m’a vraiment évoqué le Salman Rushdie de « Shalimar le clown » ou « Furie ». Et puis ça m’a évoqué aussi du John Irving première manière, genre « L’œuvre de Dieu, la part du Diable » ou « L’épopée du buveur d’eau ».
En tout cas, c’est étonnant comme « Les feux du Bengale » est différent des autres ouvrages d’Amitav Ghosh lus …
De quoi s’agit-il ? Tout part du Bengale, l’Etat indien d’où est originaire Amitav Ghosh, à l’extrême est de l’Inde. Le fil rouge sera un être un peu « hors-de-l’ordinaire », Alu, un orphelin originaire du Kerala, recueilli et élevé par son oncle, Balaram et Toru-debi, sa femme, au Bengale.
Alu, déjà, n’est pas banal. Sa tête présente des particularités qui vont rendre l’attachement de Balaram pour lui plus fort encore :

« … lorsque enfin l’enfant [Alu] lui fit assez confiance pour lui laisser passer les doigts sur son crâne pour la première fois, il sut immédiatement qu’il y avait là assez de matériel pour une vie entière d’étude.
Tout d’abord, Balaram dut se l’avouer, il fut déconcerté. La tête de l’enfant le dérouta totalement et pour des raisons très inhabituelles. La plupart des têtes étaient surprenantes parce qu’elles étaient trop lisses …/…
Sa tête offrait une profusion de bosses, de nœuds et de creux, chacun plus agressivement prononcé que l’autre, semés avec un mépris absolu des lois de la phrénologie. »

Phrénologie ? Ques aco ? Phrénologie : « théorie selon laquelle les bosses du crâne d’un individu reflètent son caractère ». Et ?
Et Balaram, voyez-vous cela, est un phrénologue amateur convaincu. Très convaincu. Mais il est aussi complètement toqué de … Pasteur (oui, Louis Pasteur) et de l’hygiène selon Pasteur (et il faut reconnaître qu’en Inde il dispose d’un champ d’expérimentation infini !). Balaram, vous l’aurez compris, n’est pas un personnage simple.
Mais Alu, outre les « nœuds et les bosses » sur son crâne n’est pas mal non plus. Il se révèle un tisserand de génie et un individu singulièrement déterminé.
Et c’est à travers la vie d’Alu que nous allons allègrement sauter d’un pays, d’un continent, à l’autre ; du Bengale en Inde au Kerala, à l’extrême sud de l’Inde, à un pays du Golfe Persique non défini gros producteur de pétrole (et gros consommateur de main d’œuvre indienne ou népalaise exploitée) type Quatar ou assimilé, à l’Egypte, au Maroc, et ça continuera vers l’Europe, l’Allemagne …
C’est foisonnant, très bien écrit et très évocateur des réalités de ces différents pays. Et quelle surprise de trouver Louis Pasteur mis sur un piédestal, déifié, au pays des « milliers de Dieux » !
L’occasion aussi d’effleurer les thèmes des relations inter – castes en Inde, la corruption quasi institutionnalisée, l’exil professionnel dans les pays du Golfe Persique et le statut de quasi esclave …
Un roman étonnant.

Tistou - - 68 ans - 27 février 2017


Tête de patate 6 étoiles

Lalpukur, village perdu du Bengale occidental, fin des années 60.
Alu, jeune orphelin à la tête pleine de bosses, est recueilli par son oncle Balaram et sa femme Toru-debi.
Balaram est un personnage lettré, excentrique, féru de phrénologie (étude du comportement humain à travers les caractéristiques de la boite crânienne), obsédé par l’hygiène selon Pasteur, apôtre têtu et fanatique de la raison contre la bêtise et la superstition…
« Les feux du Bengale », premier roman d’Amitav Ghosh paru en 1986, raconte le parcours initiatique d’Alu dans une forme mêlant le conte philosophique et le récit populaire, et qui nous transporte de la campagne bengali à Tanger après un long séjour dans le golfe persique.
Moins classique que « Le palais des miroirs » que j’ai lu précédemment, « Les feux du Bengale » est aussi nettement moins abouti.
Autant le premier tiers du roman est plein d’énergie et de fantaisie, animé par une écriture simple et fluide, autant la suite s’enlise dans les sables du désert. On se perd dans une multitude de personnages sans trop comprendre où l’auteur veut nous emmener.
Il s’agit également d’un voyage exotique dans la culture d’un pays en pleine mutation économique et sociale et qui mérite sans aucun doute d’être plus connu. Le sort des émigrés clandestins indiens dans les pays arabes est abordé avec réalisme et un certain humour.
Bref, « Les feux du Bengale » est un premier roman imparfait qui se traine en longueur, mais qui permet de découvrir un auteur plein de talent.

Poignant - Poitiers - 58 ans - 19 novembre 2011


Raison Passion Mort 10 étoiles

Telles sont les trois forces qui dominent ce livre multiple et plein de couleurs et d'énergies diverses. Un véritable kaléidoscope que je recommande à tout curieux d'autres modes de vies. J'ai été emballée et ai suivi Alu et ses pérégrinations à travers l'Inde, un pays arabe producteur de pétrole, l'Egypte et le Maroc, et encore l'auteur aurait-il pu nous emmener et suivre Das jusqu'à Düsseldorf. Une galerie de portraits humains, de microsociétés, à couper le souffle. Des êtres pour lesquels "l'espoir c'est le commencement".

Printemps - - 66 ans - 12 juin 2007