Le Cri des oiseaux fous
de Dany Laferrière

critiqué par Libris québécis, le 17 juin 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Vie politique et culturelle en Haïti
Dany Laferrière raconte les heures qui ont précédé son départ d'Haïti pour sauver sa peau. Comme on y pratique la chasse aux sorcières, les journalistes sont évidemment les premières cibles visées. L'auteur, le héros de son propre roman, raconte comment il en est venu à quitter sa terre natale quand sa mère apprend à travers les branches qu'il est en danger à cause de son métier, même s'il est affecté aux chroniques culturelles. Elle insiste donc pour qu'il parte, mais il refuse de se plier à son désir, car il estime qu'il ne peut être dans la mire des dirigeants, vu qu'à 23 ans, il en est à ses premières armes dans le métier.
L'insistance maternelle le décide finalement à boucler ses valises pour venir à Montréal. Avant de quitter les siens, l'auteur fait le tour de ses amis sans les prévenir de son départ. Le développement du roman est construit sur ses visites qu'il leur fait. Ca se déroule donc en quelques heures. Comme Dany fréquente surtout les gens attachés au monde de la culture, son témoignage est très instructif de la vie artistique haïtienne. Les activités théâtrales, musicales et littéraires sont riches et nombreuses. On ne se croirait pas dans un pays sous-développé à ce chapitre. Les artistes compensent par leur énergie débordante. Les visites de l'auteur ne se limitent pas à ce milieu. Il rencontre aussi des prostituées qu'il a fréquentées. Il ne s'en cache pas. Ce passage n'est pas complaisant. Il fait plutôt ressortir les qualités de coeur de ses compatriotes. On sent qu'il aime ceux qu'il côtoie, qu'il aime son pays. C'est bien à regret qu'il le quitte et surtout sa mère et sa grand-mère, qui l'ont aidé à s'épanouir.
Parallèlement à son déchirement se profile la vie politique haïtienne, qui s'assume dans le sang pour se débarrasser des adversaires véritables ou potentiels comme l'auteur. Le pouvoir à tout prix, quitte à mettre le pays sens dessus dessous pour le conserver. Une véritable course aux sorcières sévit pour combattre même les ombres qui pourraient se dresser sur la route des oiseaux fous de la dictature.

On aurait pu croire à une oeuvre narcissique. Pas du tout. Ce roman est coulé dans le quotidien de la vie haïtienne. C'est d'autant plus intéressant. Même s'il est le héros de son oeuvre, l'auteur a laissé la place à ceux qui l'ont façonné, à ceux qui ont partagé sa vie. Il s'efface derrière les siens pour montrer toute la noblesse des Haïtiens. On sent que c'est avec beaucoup de modestie et d'amour qu'il a écrit son roman.
Sans être innovatrice, sa plume laisse la chance à la convivialité de s'exprimer à l'intérieur d'un cadre qui interdit tout éparpillement.
Bref, Dany Laferrière est un auteur valable quoique ses romans n'aient pas la trempe des grands chefs-d'oeuvre. Il ne faut pas comparer non plus Le Cri des oiseaux fous à ses premières oeuvres. Comme il le disait lui-même, il a attiré l'attention sur lui au début de sa carrière avec des romans pornographiques. Une fois reconnu, il s'est appliqué à décrire son pays et les siens.
Très saisissant comme oeuvre et surtout, captivant 9 étoiles

Dany Laferrière m'a tout simplement impressionnée avec ce livre. Ayant tenté une fois de découvrir son roman «le plus accompli» l'Énigme du retour sans y être parvenue, j'ai décidé de lui accorder une seconde chance quand l'occasion s'est présentée, à l'école. Fort est de constater que je ne me suis pas trompée!
C'est un livre qui n'est pas du tout à l'eau de rose, comme on peut facilement se l'imaginer, mais que je n'ai tout de même pas pu lâcher tant les réflexions de l'auteur sont puissantes. Voici un condensé d'action et de questions sur la vie.

C'est un roman qui est très introspectif, l'auteur décrit tant la situation économique et politique affreuse d'Haïti que lui-même obligé de réagir face à cette situation. J'ai trouvé ses propos tout à fait légitimes, et s'il y en avait qui pouvaient paraître exagérés, c'était fait avec manière. Je vous en rapporte quelques-uns, dans mes mots.
Propos exagéré: En Haïti même l'eau de Cologne a une odeur de sang tandis qu'au Canada on dit que même le sang a une odeur d'eau de Cologne.
C'est une phrase coup de poing.
Propos légitime: Le danger est partout, à tous moments, la mort peut survenir à n'importe quel coin de rue. Mais je ne veux pas quitter, la vie est stimulante ici et je profite de chaque instant.

Aussi, il se pose beaucoup de questions qui ont résonné dans ma tête comme un son de cloche. Des questions selon moi omniprésentes dans les pays avec dictature et qui sont venues me chercher profondément: lorsqu'un homme est recherché pour ensuite être tué, qui est l’assassin, celui qui a ordonné l'assassinat ou celui qui a tiré avec le fusil?

Ainsi, tout le long du livre se profile devant nous le grand périple de la vie d'un haïtien moyen. Ce n'est pas du gâteau, mais en tant que Canadienne je me dois de retenir que ce qui compte le plus dans ces cas-là, pour un Haïtien comme pour tout être menacé par la mort quotidiennement, c'est d'être solidaire envers ses concitoyens. Voilà ce qui fait des Haïtiens un peuple unique. Pourquoi ne pas le reconnaître et prendre l'exemple?

Mariefleur26 - Paris - 30 ans - 29 mai 2012