Le roman de Jacques Bonhomme, laboureur
de Émile Bodin

critiqué par JulesRomans, le 28 novembre 2013
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
Pas de ganache en pays gavache, pas de vacherie en Gavacherie, pas de cheval bai au Pays gabay
On ne peut que se réjouir, que cet éditeur poursuive son interminable tâche de réédition de romans populistes, c’est-à-dire de récits qui appartiennent à la littérature sociale même si l’adjectif "populiste" dans ce sens n’apparait qu’en 1929 pour qualifier un récit. Lorsque ces ouvrages servent en plus à décrire une petite région très originale, ici le Pays gavache (ou Pays gabay ou Gavacherie), on est comblé.

Il s’agit de l’aire culturelle de langue d’oïl du pays de Blaye repeuplé à la fin de la Guerre de Cent ans par des paysans poitevins, saintongeois et angoumois. Il est à noter que l’actuel département du Lot-et-Garonne et l’est du département de la Gironde ont reçu à diverses époques autres que le XVe siècle, des apports poitevins. Les autres flux importants se produisirent à la Renaissance et à la Belle Époque.

"Le Roman de Jacques Bonhomme, laboureur" nous conte la vie d’un paysan sur quasiment l’ensemble du XIXe siècle ; le héros né en 1802, vit jusqu’à l’âge respectable de cent ans. Dans sa préface de 1912, J.H. Rosny invite ceux qui déclarent que les conscrits ne connaissent pas l’histoire de France de commencer par offrir à leur entourage ce livre et aux philanthropes d’en envoyer dans chaque commune :

« Si les casernes possédaient "Le Roman de Jacques Bonhomme, laboureur", je vous assure que les petits soldats connaîtraient la Révolution française et la suite des grands évènements politiques et économiques jusqu’à nos jours ».

Le récit commence quasiment en posant la question de l’importance des réfractaires au service militaire à partir de 1810. Il se poursuit avec le retour des Bourbons :

« (…) quand je pense encore à la grande peur de 1815, mes cheveux blancs se dressent toujours sur ma tête branlante. Le lendemain, nous étions tous réunis dans la grande cuisine du château : " Mes amis, dit M. le Baron, qui était fier comme Artaban, je vous ai fait venir ici pour vous dire une grande nouvelle. M. de Buonaparte est en prison, dans une île, bien loin, bien loin, sur la mer, et c’est bien fait car il n’a que ce qu’il mérite. S. M. Louis XVIII (en disant cela notre maître se découvrit et les laboureurs firent comme lui) est remontée glorieusement sur le trône de France que l’usurpateur lui avait volé. Sa Majesté m’a fait le grand honneur de me nommer maire de Saint-Savin. Vive le Roi !"

Nous criâmes tous avec lui : « Vive le Roi ! », sauf Jambe-de-Bois, qui ferma les badigoinces et ne broncha pas mais qu’une souche.»

En suivant la vie du héros Jacques Bonhomme, on apprend comment les mentalités évoluent ; ainsi le héros illettré comme la plupart des paysans en âge d’être scolarisé sous le Premier empire (nombre de maîtres potentiels sont sous les drapeaux) ressent la nécessité de faire instruire au moins un de ses fils et se demande comment arriver à payer le coût de la chose sous la Restauration. Si les autorités nationales et locales de l’époque ne font pas grand-chose pour développer l’alphabétisation, par contre elles appuient les missions catholiques destinées à rechristianiser les villages.

Arrive le règne de Louis-Philippe et notre personnage tient à voir la duchesse de Berry emprisonnée à la citadelle de Blaye pour avoir essayé de constituer une nouvelle Vendée militaire. Il fait aussi l’involontaire rencontre de Canègre, une sorte de Robin des bois qui tient à ne jamais vous dépouiller complètement, voire même à vous distribuer quelques fruits de ses vols et qui bénéficie d’un réseau d’informateurs dans le pays gavache.

L’auteur fut le directeur de la revue locale "Le Ventre Roughe" publiée de 1899 à 1904 et il a mis toute son érudition au service de cette fiction. On retiendra pour le Second Empire l’entrevue que Jacques Bonhomme avec Napoléon III à Bordeaux où celui-ci rappelle en son début de règne que l’Empire c’est la paix (les familles de ceux qui tomberont du Mexique à la Crimée en passant par l’Italie et la Lorraine en sauront quelque chose) et sa découverte des locomotives.

Outre "En partant pour la Syrie" hymne du Second Empire, l’ouvrage nous livre des chansons locales en usage à chacune des époques et il les cite presque toujours en entier. L’auteur né près de Libourne en Gironde, enseigne vingt ans; il est instituteur puis directeur d’école à Saint-Savin-de-Blaye jusqu’en 1907, fut ensuite journaliste à "La France de Bordeaux" journal radical donc très laïc dirigé par Lucien Victor Meunier. Le livre est terminé en 1912 et l’on peut supposer que sa première édition non datée chez Albin Michel est de l’année suivante.