Je te nous aime
de Albane Gellé

critiqué par Sissi, le 17 novembre 2013
(Besançon - 54 ans)


La note:  étoiles
Anacoluthes...
L’anacoluthe, c’est l’art de se chamailler avec la syntaxe pour rendre le jeu des mots plus étincelant.
C’est l’art subtil de tordre le cou à la phrase pour en extirper son jus le plus savoureux sans pour autant l’assassiner.
C’est prendre une liberté en échange d’un plaisir, mais c’est prendre, aussi, un risque. Celui du bon mot qui, gesticulant sur un fil aléatoire perdrait l’équilibre et viendrait se briser sur l’arête d’une phrase ratée.

Albane Gellé réussit à maintenir ce fragile équilibre, dans un texte aérien, vertigineux, avec ces quelques lignes en haut de chaque pages qui restent en suspens, prolongées par de grands pans de page blanche qui sont autant d’invitations à les poursuivre ou à les réécouter.
Chaque petit texte commence soit par « il », soit par « elle », ils sont les sujets du livre, mais parfois ils s’apparentent à des prénoms.
Il et elle se jaugent, se parlent, se défient, se disputent, se fuient et se retrouvent, mais surtout ils s’aiment.
Comme le souligne Philippe Longchamp dans sa (magnifique) préface :

« Bon ! On pourrait se dire, après cela, que c’est juste la plus vieille histoire qui soit au monde, peut-être avec celle des guerres. »

Il ajoute néanmoins :

« Mais comme cette plus-vieille-histoire-du-monde est une histoire d’aujourd’hui, donc forcément pour une part différente d’hier, comme c’est une histoire pour dire aujourd’hui, impossible de l’écrire comme hier. Si on veut y revenir, il faut inventer du neuf dans la langue. »

Albane Gellé réinvente l’histoire d’amour, le langage amoureux, dans un style minimaliste, épuré, mais d’une grande éloquence.
A la fin, « il » cesse d’être un « il » et devient un « tu ».
Pour elle, pour nous, pour vous.
Pour le plaisir, surtout.

« elle
avec lui regarde écoute en même
temps la pluie tomber. Leurs mélan-
colies ne s’empêchent pas. »