La vie promise
de Guy Goffette

critiqué par Eric Eliès, le 11 novembre 2013
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Etreindre le monde ici et maintenant dans la beauté des choses
"La vie promise" est un court recueil composé de nombreuses sections de quelques poèmes qui se font écho et, même si les poèmes peuvent être lus indépendamment, il vaut mieux, si on dispose de 2 ou 3 heures devant soi, le lire d’un coup dans la progression composée par l’auteur.

L’expression poétique de Guy Goffette est simple et ample, comme si une phrase unique se déroulait et se soulevait rythmiquement pour donner souffle au poème dont la disposition évoque certaines formes classiques mais libérées de la rime et de l’alexandrin. Goffette aime utiliser le quatrain et ses poèmes sont fréquemment constitués de quatrains s’achevant par un vers isolé cristallisant l’essence du poème. Son souci du formalisme poétique s’avoue explicitement dans le titre de la section « La montée au sonnet ».
Néanmoins, la poésie de Goffette n’est pas une poésie formelle. Elle s’attache davantage, sans emphase mais avec des images fortes et récurrentes, à dire l’absence, l’incommunicabilité et la quête vaine de la présence silencieuse du monde qui culminerait dans le poème. Il y a, fréquemment, l’aveu d’une frustration du poète qui rêvait d’une vie plus intense mais peine à étreindre le monde réel où ses départs avortent (« comme si déjà Ulysse, notre voisin / avait rangé ses voiles / et fermé l’horizon »). Le recueil s’ouvre d’ailleurs ainsi :

« Je me disais aussi : vivre est autre chose
Que cet oubli du temps qui passe et des ravages »

Le monde et les choses élémentaires sont omniprésents dans le recueil mais paradoxalement le poète ne cesse de répéter qu'il échoue à en imprégner ses mots pour les faire parler du monde. Il semble qu'il vive une sorte de supplice de Tantale face à la beauté du monde, qui est presque à portée de sa main mais évanescente dans le langage. Tout disparaît, s’évanouit quand on le veut saisir.

« sur la terre dure : la beauté, c’est que tout
va disparaître et que, le sachant,
tout n’en continue pas moins de flâner »

« être là, dans l’herbe drue, et douter
douter encore que la terre existe »

« comme ta vie parmi les mots, les morts »

Mais, même si la Mort est une ombre permanente dans l’écriture de Goffette, il n'aspire qu'à saisir et entretenir le souffle du monde (la section "Rien qu'un souffle" est pour moi la plus belle du recueil)
.
" et ce poème [...] pourvu qu'un peu de souffle y passe
qui nous vide et nous allège
et que sa musique soit douce en passant "

Souvent, Goffette s’appuie sur le truchement d’une autre sensibilité (des poètes : Georges Perros, Claude Roy, Robert Frost, etc. et des peintres : Jacopo Bassano, etc. sont cités dans le recueil) comme si elle pouvait constituer un biais lui permettant de mieux approcher ce « presque-rien » qui se dérobe. Cette recherche d’une autre sensibilité est parfois très proche de l’amour, envers le monde, les animaux (vaches, chat, oiseaux, chien qui « crie son nom dans la nuit », oisillons « décharnés et couverts d’excréments », etc.) et les hommes (« l’amour demeure très au-dessus comme un bel éclair et qui dure » ; « mon amour, est-ce ainsi que les roses / meurent quand vient l’hiver, / le cœur serré comme un poing dans les épines ? »)

Ce sentiment exacerbé, presque douloureux d’empathie, fait parfois songer à une sorte de lyrisme quotidien désenchanté car Goffette, évoquant les ambitions poétiques de sa jeunesse qui rêvait d’élargir le monde ( "Comme des gosses nous avons cru longtemps / que grandir c’est abattre des murs "), avoue que ses espoirs furent déçus par l’expérience pratique et laborieuse de l’écriture :

« laisse aller, laisse, car tout est perte
A qui veut prendre – et nommer est-ce autre chose ? »

" De ces mots de rien, de peu, ces verbes
ramassés sur la route et traînés dans la pluie "

Dans les derniers poèmes, le poète enfourche son vélo et abandonne ses travaux d’écriture (interrompus « pour cause de paresse »), dans une sorte d’école buissonnière qui le ramène sous le soleil à la source vive de la poésie, qui est l’instant présent vécu ici et maintenant. « la cour des miracles est rendue : prés, bois, rivières avec un plein lit de musiques »