Les lunes de Jupiter
de Alice Munro

critiqué par Pucksimberg, le 19 novembre 2013
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
"La vie comme vous le voyez, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit." ( Maupassant )
Cette phrase qui clôt "Une Vie" de Guy de Maupassant résume assez bien les situations évoquées dans ce recueil de nouvelles. Les personnages n'y sont pas heureux, ni malheureux. Ce sont des êtres humains comme les autres en prise avec l'existence et ses difficultés ( l'amour qui s'éteint, l'absence, la solitude, la maladie, la vieillesse, la mort ... ). Avec élégance, Alice Munro ne tombe pas dans des récits pathétiques et larmoyants. Une certaine distanciation et quelques pointes d'humour, discrètes, permettent de relativiser.

La femme occupe une place centrale dans son recueil. Elle est décrite dans sa relation avec les hommes ou avec des membres de sa famille. Dans ces nouvelles, l'on croise une adolescente qui apprend à vider des dindes, un vieil homme passionné par Willa Carther qui se rend sur une île où l'auteure a rédigé un roman, un père de famille face à un drame familial, deux vieilles femmes dans un hospice, une fille qui reste avec son père dont les jours sont comptés ... La famille et le couple sont omniprésents dans ce recueil et sont souvent confrontés au temps qui passe.

Alice Munro analyse avec précision l'âme humaine. On a parfois le sentiment que ses textes ont une part autobiographique tant la peinture qui est faite est saisissante et juste. L'auteure possède aussi l'art de la concision. Ses nouvelles contiennent 30 à 40 pages et ont pourtant la densité d'un roman de 300 pages. Alice Munro affronte certains maux douloureux. Elle ne tombe pas dans la facilité : la description de l'hospice peut effrayer, l'annonce de la perte de l'enfant est glaçante, le mépris de l'époux vis-à-vis de sa belle-famille au détour d'une remarque cinglante sont autant de passages délicats. La force de l'auteure est de doser intelligemment les émotions qui toucheront le lecteur. Il y a du tact et de la finesse dans ces nouvelles.

Ces dernières puisent dans l'implicite, demandent au lecteur de faire le lien, par certaines zones d'ombre c'est parfois l'intimité du lecteur qui donne du sens. C'est la vie elle-même qui sert de matière première aux nouvelles de Munro, empreintes de réalisme.
Un peu faible 7 étoiles

Une douzaine de nouvelles, une douzaine d’aventures féminines. Des histoire d’amour, souvent des couples ratés, des familles qui se délitent. La pauvreté, les changements de la société, la pauvreté, la mé-communication sont évoquées par petites touches et globalement bien observées. De façon notable, la notion de « châtiment » revient à plusieurs reprises, certains personnages ayant l’impression que leurs déconvenues ou malheurs sont une punition pour leurs écarts de conduite.
Ce n’est pas désagréable à lire, mais il manque quelque chose. Pour des nouvelles il faudrait plus d’intensité, des chutes plus marquées. Le style est sobre mais un peu trop lisse et trop dépourvu de caractère pour être attachant. Une fois refermé, le livre laisse quelques souvenirs, mais rien de fort.

Romur - Viroflay - 51 ans - 2 mars 2014


Lecture en duo, merci Pucksimberg! 8 étoiles

Très intéressantes, ces lectures en "parallèle", car chacun est bien sûr attiré par des choses différentes en fonction de son propre vécu.

D'emblée, Alice Munro , dans la deuxième partie de la première nouvelle, annonce la couleur sur son projet d'écriture.
Une tombe, d'un " ermite" inconnu. Recueilli pour ses derniers moments par un fermier et ses filles, qui sont les tantes de la narratrice. Qui était cet homme et que s'est-il passé? On n'en saura rien.

Plus jeune, j'aurais imaginé une histoire . J'aurais affirmé que Mr Black était amoureux d'une de mes tantes..etc

Plus tard.. j'aurais établi une relation plausible et horrible entre son silence et la façon dont il est mort.

Mais..: Je ne crois plus aujourd'hui que les secrets des gens soient définis et communicables, ni que leurs sentiments soient pleinement épanouis et facilement reconnaissables. Je ne le crois pas. Tout ce que je puis dire, c'est que les soeurs de mon père frottaient le plancher à la lessive, qu'elles moyettaient l'avoine et trayaient les vaches à la main.

Voilà.. Elle ne peut plus raconter que ce qu'elle voit, ou a vu. A nous, ou non, d'imaginer le reste. Alice Munro ne fait que montrer. Et surtout pas démontrer, même si les personnages de ces nouvelles, le plus souvent des femmes, mais pas toujours, "démontrent" elles-même. A travers son regard. Dans ce qu'elle leur fait dire. En particulier, et c'est un thème récurrent, les situations dans lesquelles ces femmes s'engouffrent continuellement, en répétant encore et encore , notamment les choix de conjoints ou compagnons qui ne pourront jamais leur apporter ce qu'elles souhaitent, faisant ainsi leur propre malheur. Alice Munro capte un moment d'existence de ses personnages , en laisse deviner d'autres dans leur futur , conséquences logiques pour le lecteur, ne conclut jamais, ne juge jamais. C'est un regard acéré et très .. féminin.

La part autobiographique existe certainement, mais n'a pas grande importance, à mon avis. Par exemple dans la dernière nouvelle qui donne son titre au recueil, peu importent finalement les circonstances de la mort d'un père. C'est plus un éclair de compréhension dans le cerveau d'une femme, d'une fille et d'une mère. Ce qui a manqué dans ses relations avec lui, et il est trop tard. Ce qu'elle a manqué dans ses relations avec ses filles, et il est bien tard aussi. Cette femme en tirera-t-elle des conclusions? Peut être. Nous, oui, mais pour nous, c'est .. décrypté avec brio.

Ces nouvelles sont très denses , dans tout ce qui n'est pas dit, d'une part qui pousse l'imaginaire, et aussi car au milieu de la banalité du récit lui-même , il ne faut pas rater " la" phrase ", ou même le mot qui ouvre sur autre chose.

"Brian était simplement quelque chose qu'il fallait supporter, comme le froid glacial du hangar où on vidait les dindes et l'odeur de sang et de boyaux".
Rien à en dire de plus, de ce Brian? Si, plus tard , bien après.

Il n'y a aucune sentimentalité, aucune étude psychologique , tout juste ressent-on une empathie certaine pour ses personnages.
En tout cas, la lucidité d'un regard. Le sien.

Paofaia - Moorea - - ans - 26 novembre 2013