L'amour de loin : Image
de Anne-Marie Garat

critiqué par Rotko, le 2 juin 2003
(Avrillé - 50 ans)


La note:  étoiles
L'amour des mots, des mots d'amour...
On imagine un couple qui dialogue, car nous avons seulement les paroles échangées : retour sur une image vue par la narratrice dans la chambre de l'enfance, et dont elle se souvient par la suite, car elle a du mal à en dégager toute l'importance. Avec cette image revue et revécue dans le souvenir, des impressions affleurent, des thèmes qui "impressionneront" (au sens photographique du terme) l'existence.
Rêverie autour du paysage natal, des visages familiaux, de la condition des brassiers du vignoble, de l' accent du grand père qui fait resurgir une langue et une oeuvre inscrite dans le paysage de Blaye. J'explique :-)

Par ses études, la jeune fille entre en contact avec le gascon universitaire de "l'amour de loin" (XIIe siècle), alors que ses parents pratiquaient encore le gascon populaire, pour elle, "langue de vieux, patois de pauvre". "L'amour de loin" est une oeuvre de Jaufré Rudel, troubadour qui, dit-on, prit part à la 2é croisade pour découvrir Mélisande une "princesse lointaine" qu'il aimait sans l'avoir jamais vue, et qui mourut en la trouvant à Tripoli.
La narratrice jeune fille annone laborieusement cette oeuvre d'une langue devenue étrangère, quand le grand-père, journalier dans les vignes, retrouve sans effort l'accent de ces mots d'amour du passé, dont je cite la première strophe :
Lanqand li jorn son lonc en may,


Lorsque les jours sont longs en mai
M'es bels douz chans d'auzelhs delonh,

M'est beau doux chant d'oiseaux de loin
E qand me sui partitz de lay

Et quand je suis parti de là

Remembra.m d'un amor de lonh,

Me souvenant d'amour de loin
Vauc de talan enbroncx e clis

Vais de désir front bas et clin* (* incliné)

Si que chans ni flors d'albespis

Ainsi chants ni fleurs d'aubépine
No.m platz plus que l'yverns gelatz

Me plais(ent) plus que l'hiver(nale) gelée
.

(suite sur http://anthologie.free.fr/anthologie/rudel/… )
(traduction : <http://perso.wanadoo.fr/maurice.ulis/…>)


Certes le livre d'Anne-Marie Garat semble avoir été écrit à son seul usage, mais il a le mérite de rappeler la culture d'une terre, l'histoire de ses habitants, et l'imaginaire qui
émane de la langue elle-même. On y glane de jolis petits morceaux
: "Dans la bouche nous roulons, mâchons et mangeons les mots de poésie, de même que se mâche le vin d'ici. Mon père m'a appris comment s'écoute, avec nos papilles, le "dit" du vin, ce qu'il a à dire de lui-même, de vive voix, dire au palais qui il est et non décliner son identité d'étiquette, pour l'entendre délivrer ses sucs, ses tanins, ses fièvres et ses saveurs..."