L'Inconstance de l'espèce
de Judith Schalansky

critiqué par Paofaia, le 5 novembre 2013
(Moorea - - ans)


La note:  étoiles
De l'intérêt d'avoir un long cou
On peut s'interroger encore une fois sur la traduction du titre, Le cou de la girafe, par L'inconstance de l'espèce..

Inge Lohmark est enseignante en biologie et en éducation physique dans un collège de l'ex-RDA.
La région se dépeuple, la réunification a provoqué un exode massif, surtout des jeunes, et l’école va donc fermer. Inge Lohmark va perdre son travail, à un âge où il est difficile de se reconvertir, surtout après 30 ans d’enseignement. Mais comme elle l’a fait toute sa vie, elle se cale dans des routines qui la font agir d’une façon qui semble efficace dans l’instant et qui l’empêchent de se projeter et d’imaginer autre chose. Elle voit tout à travers sa spécialité, mais tout n'est pas si simple dans les fameuses théories de l'évolution..

Comment parler de ce livre, c'est très difficile. Car s'il est brillant, c'est vrai, il est aussi complexe, notamment dans sa construction. Témoignant également d'une maturité peu commune pour une si jeune auteure..

Le récit est mené à la troisième personne , mais tout est vu à travers le prisme des réflexions de cette femme . Un personnage assez déroutant.
Tout est centré sur elle. L'auteur utilise pour étudier son héroïne le même microscope dont celle-ci se sert pour faire le portrait de ses semblables. Mais c'est vrai que les informations sont délivrées par petites phrases elliptiques , disséminées, et que comme c'est Inge qui parle, elle en revient très vite à son seul intérêt , la biologie. Car là, elle contrôle, elle sait. Le reste.. On apprend quand même que son père appartenait à la direction locale du parti, que ses parents ne s'aimaient pas. On apprend le mari et ses autruches, . Sa liaison, l'avortement. Et sa fille, là est le passage le plus violent du livre, son comportement avec sa fille.

A-t-elle encore des choix possibles, d'ailleurs?:

Ce moment, pendant le bain, quand elle s'était posé la question pour la première fois... Qu'y avait-il d'autre que l'ici et maintenant? ..Toujours cette question... Aucune réponse. Même pas un début. Rien. Pensées tournant à vide. Elle ne pouvait même pas l'imaginer. Et elle avait alors pensé: j'apprendrai certainement ça à l'école.

De l'école, elle n'est jamais sortie, Inge, et elle n'a pas appris. C'est tellement sécurisant, l'école. La science, voilà son univers et elle dissèque tout par ce biais. Du moins si on l'écoute..

Son corps, sans force. La tête, si lourde. Le cerveau est un énergivore colossal. L'ascidie, un tubercule invertébré, s'en débarrasse une fois devenue adulte et sédentaire. ..Ce cerveau bien trop volumineux. Un entrepôt de connaissances, surdimensionné comme les bois du mégacéros de l'époque glaciaire, comme les défenses du mammouth, les longues canines du tigre à dents de sabre. A quoi bon? Cette accumulation de savoir.. La raison ne nous rendait pas plus intelligent. Engoncés dans le drap de la causalité, le Moi comme illusion neuronale, un spectacle multimédias à grand moyens. Il faudrait être un animal. Un véritable animal. Sans une conscience pour inhiber la volonté. Les bêtes savent toujours ce qu'elles font. Mieux, elles n'ont pas besoin de le savoir. En cas de danger, le lézard se défait de sa queue... Dire qu'il fallait perpétuellement songer à la prochaine chose à faire, au meilleur comportement à adopter; Les bêtes connaissent leurs besoins, ont un instinct.... Qu'avait-elle fait de son instinct? Comment était-elle arrivée ici? Où était la queue qu'elle pourrait lâcher?

Je trouve cet extrait assez déchirant , et je ne la trouve pas antipathique, ni malveillante, cette Inge. Elle est figée toujours au même stade,et en est tout à fait consciente. Elle a tout perdu, finalement, le régime sécurisant de l'utopie communiste, les repères familiaux . Elle passe sa vie à expliquer la nécessité pour la survie de l'évolution et de l'adaptation, et elle-même a été incapable de s'adapter et d'évoluer.

Un roman acerbe, amer, très sarcastique, ironique, d'un cynisme assez désespéré.

Et pourtant une bouffée d'optimisme dans l'évolution du personnage à la fin, et oui, et c'est pour cela que je trouvais très bon le titre Le cou de la girafe. Le dernier cours où cette convaincue de la loi du plus fort finit par donner à ses élèves des explications sur la taille du cou de la girafe qui ne tiennent rien de Darwin! Leur permettant d'espérer..
Cours de bio appliqué 4 étoiles

Le récit émane d’une femme professeure dans un établissement rural d’Allemagne de l’Est en perte d’élèves et qui risque de fermer à brève échéance. Le livre est émaillé de schémas et de dessins de biologie, sa matière avec la gymnastique, qui se veulent une illustration de son propos. Car elle prend prétexte des caractéristiques, des comportements et des relations de son public d’élèves, de collègues ou de voisins pour nous parler de la théorie de l’évolution et des méthodes d’enseignement, ... et nous raconter sa vie de femme globalement insatisfaite.

La forme est originale et le contenu donne une opinion tranchée mais je n’ai pas été accrochée par cet exercice. L’écriture au scalpel est froide et définitive, tout comme la personnalité de la narratrice, sûre de son bon droit et qui ne se remet jamais en question.

IF-1113-4117

Isad - - - ans - 17 novembre 2013