Histoire de la Provence, tome 4: L'affirmation d'une principauté
de Jean-Marie Cuzin (Scénario), Pecout (Scénario), Michel Espinosa (Dessin)

critiqué par JulesRomans, le 21 mai 2014
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Faites des cartes historiques d’une province, sinon faites une BD sur l’histoire de la Provence
En 1913 Marcel Sembat publie un texte " Faites un roi, sinon faites la paix". En effet il pense que la sauvegarde de la République doit aller avec une politique étrangère pacifique. Il craint que la menace de la grève générale (envisagée par la CGT et le parti socialiste) ne se révèle sans efficacité. Par ailleurs il pense que le gouvernement français, avec une bonne partie des officiers qui sont hostiles au régime républicain ne pourra mener avec succès les armées à la victoire. Seul un pouvoir autoritaire peut pour lui conduire une guerre moderne qui nécessite le soutien et la mobilisation de toutes les forces du pays.

Nous reprenons le style de cette phrase car nous sommes outrés que dans cette BD il ne soit proposé qu’un vague crobar, auxquels les moins instruits ne comprendront rien et qui induira les plus cultivés à des connaissances erronées. En effet page 7 une lecture intelligente d’une couillonnade de carte (n’oublions pas qu’on est en Provence) laisse croire qu’est appelé marquisat de Provence la région de Nîmes (où d’ailleurs on parle la langue de Mistral et pas du tout un idiome proche de celui utilisé à Toulouse).

Une carte vaut mieux qu’un long discours, surtout en la matière. Approcher l’idée du Marquisat de Provence avec ici une carte pertinente pouvait expliquer pourquoi Avignon et le Comtat Venaissin vont revenir au pape. En effet le marquis de Provence est en 1229 Raymond VII de Toulouse et après la Croisade contre les Albigeois, il se voit obliger de marier sa fille à Alphonse II de France (connu aussi sous le nom d'Alphonse de Poitiers). Vers 1271-1274 le marquisat de Provence qui courait en gros d’Avignon à Die et Valence (en passant par Montélimar) pour sa majeure partie est donné au Pape, en accord avec le traité du 12 avril 1229.

Pour faire comprendre que la partie ouest de la Provence quitte son giron entre 1271 et 1792 il fallait une carte et pour faire comprendre que sa partie est fait de même entre 1388 à 1860, il fallait un arbre généalogique où on aurait vu que Jeanne Ière adopte Louis d’Anjou pour lui succéder alors que dans un premier temps elle avait pensé à Charles Duras, fils de Louis, troisième duc de Durazzo et de Marguerite de Sanseverino, arrière petite-fille de Charles II de Naples, petite-fille de Robert-le-Sage et fille de Marie d’Anjou (la sœur de Jeanne Ière, déjà citée). La région de Nice, refusant de reconnaître Louis d’Anjou, s’offre au duc de Savoie.

C’est dommage que cet ouvrage ne se soit pas donné les moyens pédagogiques de faire passer de manière éclatante ces deux messages. Heureusement le reste du contenu est fort intéressant et on note en particulier un excellent regard critique sur la gestion des affaires provençales par celui qui est, comte de Provence et roi de Naples, à savoir le roi René. Il y a le choix d’une double narration, celle montrant des visiteurs de notre époque à l’abbaye Saint-Victor de Marseille qui couvre une ou deux pages en début (ce sont les personnages permanents de la série), milieu et fin de récit et celle de deux moines dans le même lieu avec le plus âgé qui brosse l’histoire de la Provence du XIe à la fin du XVe siècle (date de son rattachement à la France).

Le graphisme est en phase avec ce qui se fait de mieux en matière de BD historique: décors fouillés, visages expressifs, cadrages sophistiqués (avec des inserts attirant l’attention sur des intérieurs ou des actes à portée historique). On ne peut comprendre l’histoire de la Provence sans connaître les répercussions qu’eurent sur le Comté: la Croisade des Albigeois, la guerre de Cent Ans, les désirs d’aventures italiennes des princes capétiens dès le XIIIe siècle (un frère de Saint-Louis déjà roi de Naples épouse l’héritière du comté de Provence), l’implication de la Catalogne dans l’univers de la France méridionale et de l’Italie, la complète autonomie de la ville de Marseille, l’importance d’Aix. On espère que le prochain tome nous parlera des Vaudois du Luberon, à l'occasion de la Réforme; ceci quoique l'installation de ces "protestants" avant la lettre remonte à l'origine à 1399 (mais se poursuit pendant la totalité du XVe et jusqu'au milieu du XVIe siècle).

Tout ceci est bien mis en perspective ici et l’apport didactique est sobre tout en donnant les clés nécessaires. "Histoire de la Provence" est une série ambitieuse en 10 tomes, il est à noter que le même éditeur clôt actuellement sa série "Cette histoire qui a fait l'Alsace" qui a une approche extraordinaire de ce que peut apporter une BD historique didactique.