Lady L.
de Romain Gary

critiqué par Cafeine, le 29 octobre 2013
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Vieille dame indigne
Lady L. est une aristocrate anglaise dont l'Angleterre est sur le point de fêter ses quatre-vingts ans. Dans la pièce à côté se trouvent une descendance fournie et délicieusement conforme aux attentes aristocratiques, un amoureux : Sir Percy Rodiner, qui a "survécu à tous ses autres animaux familiers".
Dans ce décors parfaitement mesuré, les pensées de Lady L. sonnent de manière discordante. Elle se décrit comme anarchiste et romantique, elle porte un regard distant et ironique sur le monde dans lequel elle vit, elle joue, elle dissimule.

Mais lorsqu'il est question de démolir le pavillon d'été dans lequel elle a "entassé ces turqueries" Lady L. se sent proche de la panique. Il va falloir déménager objets et secrets.
Lady L. se trouve contrainte de raconter à Percy son histoire, la vraie, celle d'avant Lady L.

C'est à partir de là que Gary entre en scène avec humour et mélancolie, cruauté et tendresse, il mêle fiction et vraie histoire.

Dans une Europe de fin de siècle secouée par les attentats anarchistes, posant les bases des dictatures à venir, soufflant les prémices de révolutions, Lady L. nous conte l'histoire d'amour d'Armand, d'Annette et de l'Humanité.

Je termine ma critique avec le poème qui ouvre le livre :

Ah! fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu'ingénument je vous le disse,
Que fièrement vous vous tussiez.

Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et que je vous idolâtrasse,
Pour que vous m'assassinassiez.

Ode à l'humanité, ou emploi du subjonctif. Auteur inconnu
Tours et détours de la vilaine dame 9 étoiles

Lady L., aristocrate anglaise respectée, fête en grande pompe ses quatre-vingts ans, amusée d'un tel hommage, qui semble tenir pour elle de la parade orchestrée, mais se contente de faire bonne figure mondaine. Sir Percy Rodiner, écrivain reconnu et lauréat d'un prix littéraire de renom, fait état à l'honorable douairière de son admiration pour elle, au point qu'il souhaite établir sa biographie. Elle le prévient qu'il lui faudra beaucoup de temps et de patience. Il y est prêt et se soumet de bonne grâce à ces conditions qu'il attendait peu ou prou.
Or, il ne pouvait pas prévoir la teneur de l'existence qui lui serait divulguée, car notre chère hôtesse a connu une vie mouvementée. Elle a appartenu aux cercles anarchistes, philosophiquement et politiquement, avec la dose de subversion qui en a découlé, elle est tombée follement amoureuse, parfois à ses dépends et s'est révoltée contre le sort des femmes. L'alcool, la drogue, les excès ne lui ont jamais fait peur, mais la mollesse et l'idéalisme l'exaspèrent. La grande dame du monde doit donc son statut à la dissimulation d'un passé subversif, avoisinant çà et là l'indignité.

L'auteur se serait inspiré de l'épouse avec qui il a convolé juste après-guerre, avec Jean Seberg.
Le ton ironique, le propos burlesque, l'aspect décalé de l'intrigue façonnent un récit truculent et quasi-désopilant, sous le regard hagard et presque terrifié de l'interlocuteur de la protagoniste. La rencontre de ces mondes opposés constitue certes un recette bien classique mais est appliquée avec autant de soins que de sarcasme, pour établir une histoire pleine de drôlerie. J'ai beaucoup aimé.

Veneziano - Paris - 47 ans - 26 décembre 2019