Misères et tourments de la chair durant la Grande guerre, les moeurs sexuelles des Français, 1914-1918
de Jean-Yves Le Naour

critiqué par JulesRomans, le 7 novembre 2013
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Les poils des poilus ne sont pas qu’au menton
Jamais l’État n’est auparavant autant intervenu dans la vie intime des gens. Il va contrôler plus activement la prostitution et cela débouche sur la création des bordels militaires, créer des conditions exceptionnelles pour les mariages (par procuration avec un homme au front, union posthume avec une femme se déclarant sa fiancée), instituant les permissions pour en particulier sauver la race française … Avec l’ensemble de la société il va se porter garant de la fidélité des épouses de poilus. La justice devra s’interroger sur la question de l’avortement d’enfants nés d’un viol commis par un soldat allemand (voir de façon plus précise "L’enfant de l’ennemi" d’Audoin-Rouzeau), accordera le divorce aux maris qui déclarent que leur femme restée en territoire occupé a eu des relations avec un ennemi (lire l’exposition d’un cas concret pour la Somme dans "La maîtresse d'école : Trente années de la carrière d'une institutrice" de Robert Massin). Après guerre une réforme sur la question de la nationalité de la femme mariée se produira, elle est la conséquence directe de l’enfermement dans des camps d’épouses de sujets des empires centraux qui nées françaises, avaient perdu leur nationalité en se mariant.

Alors que la guerre est souhaitée par certains comme purificatrice de l’immoralité vécue à la Belle Époque, elle a pour conséquence un très grand désordre sexuel. Jamais autant de femmes n’ont trompé leur mari, de jeunes célibataires se sont prostituées et d’hommes ne sont allés au bordel. Les maladies vénériennes qui affaiblissent le corps du combattant et l’avenir de la race sont la préoccupation des autorités. Il est à noter que durant cette période une prostituée se disant atteinte de la syphilis (ou d’autres maladies avoisinantes) en faisait un argument publicitaire car une relation avec elle représentait l’espoir de se faire réformer au mieux et au pis d’aller dans un hôpital militaire pour quelque temps.

L’État, avec l’accord de l’armée, impose dans la zone des armées des conférences hygiénistes. Nombre d’entre elles voient leurs participants devoir y assister au garde-à-vous pour éviter tout chahut. Émile Pourésy se voit missionner pour cela. Dans ses "Souvenirs", il a l’honnêteté de reconnaître l’agressivité des poilus vis-à-vis du contenu qu’il propose :

« Ah ! Si l’on n’était pas militaire, ce qu’on vous aurait passé par-dessus le mur, ça n’aurait pas fait un pli. Des gosses, nous n’en voulons pas ; nous voulons la paix ; qu’on nous foute la paix ; que la guerre finisse » (page 200)

Bien entendu la presse qualifie la pornographie de mal introduit par la main du Reich et Émile Pourésy publie "Le masque arraché aux pornographes allemands". Il est à noter que les frères Offenstadt, d’origine juive bavaroise ancienne, se voient accuser de démoraliser les soldats français par leurs publications coquines (à distinguer de leurs journaux pour les jeunes), alors que dans le même temps dans "L’Épatant", ils publient les aventures des Pieds-Nickelés durant la Grande Guerre sous la plume de Forton (le début de cet ensemble vient d’être réédité chez Vuibert). On remarque que la couverture proposée pour l’édition de 2013 provient d’une carte postale anglaise de l’époque et non d’un des multiples dessins suggestifs réalisés par des illustrateurs français.