Trois essais sur la théorie sexuelle
de Sigmund Freud

critiqué par Ellane92, le 7 octobre 2014
(Boulogne-Billancourt - 49 ans)


La note:  étoiles
qu'est-ce qui fait tourner le monde ?
Comme son nom l'indique, cet ouvrage de Sigmund Freud est composé de 3 essais qui alimentent et permettent de poser la sexualité, au sens large, telle qu'elle est envisagée dans la théorie psychanalytique de 1905.

Le premier essai, composé de 7 chapitres, s'intéresse aux "aberrations sexuelles". Dans cet essai, Freud s'intéresse avant tout à l'objet et au but sexuels. La sexualité adulte est normale lorsque son objet est la personne adulte de sexe opposé et que le but est l'union génitale. La perversion se définit logiquement comme une anormalité du but ou de l'objet sexuel.
En termes de perversions, Freud différencie dans son premier chapitre les déviations par rapport à l'objet (inversion, zoophilie, pédophilie…) des déviations par rapport au but sexuel (perversions se présentant sous forme de couples d'opposés présents de façon latente chez l'individu, comme par exemple : sadisme et masochisme, voyeurisme et exhibitionnisme, etc…) qui font l'objet du deuxième chapitre. Le troisième chapitre explique que les comportements définis comme pervers sont universels et font partie de la sexualité adulte normale ; il n'y perversion que lorsque ces comportements sont fixés dans le temps et deviennent exclusifs. Le quatrième chapitre explique que ces formes pulsionnelles caractéristiques de la perversion sont présentes également dans toutes les névroses, la névrose étant consécutive au refoulement de la perversion : " la névrose est pour ainsi dire le négatif de la perversion." Le cinquième chapitre explique ce qu'est la pulsion, l'excitation d'une zone érogène qui doit trouver une issue. Le sixième chapitre interprète, du point de vue de la théorie psychanalytique, la prédominance de la sexualité perverse dans les psychonévroses. Le septième et dernier chapitre de cet essai montre que c'est dans l'enfance que se trouvent les germes de la perversion et ce, de façon universelle, ce qui constitue une transition parfaite pour aborder le deuxième essai : la sexualité infantile.

Pour introduire ce second essai, Freud fait d'abord état de la littérature inexistante sur ce sujet. Qu'à cela ne tienne, la psychanalyse est prête à l'investir. Dans sa première partie, Freud explique que l'enfant, immature sexuellement et donc incapable d'amener ses pulsions vers un but normal, va être amené à les investir sur d'autres activités, notamment l'apprentissage, scolaire, mais aussi de valeurs ou d'émotions telles que la pudeur, le dégout et la morale. Cet investissement se fait d'autant plus facilement que, les premières expériences de l'enfant avec son corps faisant le plus souvent l'objet de réprobation de la part de ses éducateurs, l'enfant n'a guère d'issue pour liquider ses pulsions. La seconde partie remonte à la prime enfance, le juste après naissance. Freud explique comment le suçotement, initialement acte associé à une fonction vitale (se nourrir), finit par devenir une voluptueuse activité auto-érotique (sans plus de lien avec l'activité de se nourrir et se satisfaisant via le corps de l'individu, par exemple en suçant le pouce) sous domination d'une zone érogène : la bouche / cavité buccale.
La troisième partie évoque les modalités de libération des pulsions sexuelles chez l'enfant, puisque le but ultime de la pulsion sexuelle ne peut advenir faute de maturité des organes sexuels. C'est vrai ça, que deviennent-elles, ces pulsions ? Si l'on revient à la définition, la pulsion correspond à une excitation d'origine centrale projetée sur une zone érogène, la zone érogène étant une zone de peau ou de muqueuse (se situant donc n'importe où sur le corps) ; cette excitation engendre une tension, et est donc source de déplaisir. C'est une stimulation externe rythmique et de qualité sur la zone érogène qui provoque la satisfaction de la pulsion, et donc sa liquidation (et là, on retombe sur l'activité autoérotique du suçotement).
Dans la quatrième partie, Freud explique que le petit enfant, n'ayant pas encore intégré des inhibiteurs comme la pudeur, le dégout ou la morale, a une prédisposition perverse polymorphe (c'est-à-dire qu'il est à même de développer plusieurs perversions). La cinquième partie évoque les recherches et questions du petit enfant autour de la sexualité et dont les réponses ne le satisfont pas toujours : d'où viennent les enfants ? Quelle est l'origine de la perte du pénis des petites filles (hypothèse d'un même organe viril chez tous les êtres humains) ? Comment nait-on? Que font papa et maman dans leur chambre la nuit ? etc…
Dans la sixième partie, Freud énonce les 3 stades de développement sexuel tels qu'ils étaient encore enseignés dans les facultés il y 10 ans de ça (ou là, je ne rajeunis pas !!) : le stade oral, anal, et phallique, qui se rapprochent de plus en plus du stade génital, celui de la sexualité adulte, qui associe plaisir et fonction de reproduction, avec une organisation suffisamment solide pour atteindre le but sexuel dans un objet sexuel étranger (le normal, il parait !). Enfin, dans la septième et dernière partie de cet essai, Freud évoque la source principale de la sexualité infantile : l'excitation, qui est soit mécanique (par exemple, le bercement du train, une activité musculaire comme se battre, etc…), soit un effet secondaire de processus interne.

Le troisième et dernier essai de cet ouvrage s'intéresse de très près à la puberté, moment clé durant lequel la pulsion sexuelle se met au service de la reproduction et où la sexualité infantile évolue vers sa forme normale définitive.
La première partie évoque les impacts de la croissance des organes génitaux sur les pulsions sexuelles. Avec la multiplication des stimulations externes, celles du corps en changement et l'évolution de la vie psychique, apparait l'excitation sexuelle, qui se manifeste par un sentiment psychique de tension et la préparation des organes génitaux à l'acte sexuel. Le plaisir préliminaire, lui, permet d'augmenter la tension et donc de rassembler l'énergie nécessaire pour amener l'acte sexuel à son terme (avec le risque que les préliminaires engendrent un plaisir trop fort et donc une tension trop faible, ce qui est, on l'a vu dans le premier essai, le principe des déviations liées au but sexuel). La seconde partie s'intéresse plus précisément à l'origine de la tension sexuelle, équilibre délicat qui tient à la fois du physique, du chimique et bien sûr, du psychologique.
Dans la troisième partie, Freud présente sa théorie de la libido, cette force quantitativement variable qui permet de mesurer les processus qui ont trait à la sexualité et qui permet d'investir l'objet sexuel. La quatrième partie évoque les différences d'investissement de la libido et des zones érogènes chez les hommes et chez les femmes.
Enfin, dans la dernière partie de cet essai, Freud s'intéresse à l'évolution du choix d'objet sexuel, et évoque en particulier l'attirance de l'enfant pour son parent de sexe opposé et l'importance du tabou de l'inceste : le complexe d'Œdipe vient de naitre !


Cet ouvrage de Sigmund Freud, un peu complexe à aborder, absolument politiquement incorrect, a, il me semble, conservé tout son côté révolutionnaire et toute sa pertinence.
Même si les mœurs ont évolué, si la psychologie clinique et pathologique ont gagné leurs lettres de noblesse, si l'on a fait de nombreuses recherches sur les enfants et leur développement, les stades d'évolution de la sexualité infantile présentés dans cet ouvrage sont toujours LA référence des psychologues et psychanalystes. Bien sûr, le discours a un peu changé (mais pas beaucoup !), les descriptions / origines / conséquences se sont étoffées, mais on est quand même bien, avec cette théorie de la sexualité infantile, au cœur de la psychanalyse.
Cet ouvrage est fondamental, et est à considérer, me semble-t-il comme l'une des pierres angulaires qui posent les fondements de la théorie psychanalytique. Freud y évoque, entre autre : le primat de la sexualité dans la vie psychique, les pulsions et la libido, leurs devenirs (liquidation, refoulement, sublimation, investissement, etc…), le complexe de castration, le complexe d'Œdipe, l'origine de l'angoisse, les mécanismes du transfert, la formation des symptômes, l'origine infantile des pathologies adultes, etc…
A sa sortie, ce livre a, parait-il, fait hurler dans les chaumières, notamment par son affirmation de l'existence d'une sexualité infantile. Moi, j'ai l'impression que le message est à peu près passé, pas dans toute sa profondeur ni dans toutes ses implications, mais aujourd'hui, quand on parle d'un enfant en plein "Œdipe", plus personne ne saute au plafond en imaginant des scènes incestuelles. Par contre, toujours à mon humble avis, au temps du "mariage libre" et des "gays pride", j'en entends déjà dans la salle qui hurlent au scandale quant à ce que Freud considère et classe comme des perversions (la perversion, on nous le rappelle dès le premier essai, est à considérer comme une déviation du but ou de l'objet par rapport à la normalité définie auparavant dans l'ouvrage) !
Enfin, ce que moi, j'ai envie de dire de ces trois essais, c'est qu'il y a un petit côté révolutionnaire qui fait voler en éclat toutes les belles valeurs de nos jolies sociétés de consommation. Pourquoi est-il révolutionnaire ? Parce que tonton Freud, avec ses grands sabots et sa pipe dans le bec (!), montre et écrit noir sur blanc que, petit 1, la sexualité est la grande affaire de l'humanité, et que, petit 2, ça ne date pas d'hier, parce que ça commence dès la naissance. Et ça, au moins, c'est dit !
Allez, reprenons tous en chœur, accompagnés de tonton Freud et de Sylvie Vartan : Qu'est-ce qui fait tourner le mondeuuuuuh ?


Le but de la sexualité n'est pas la procréation. La sexualité humaine n'est au service que d'elle-même, elle échappe à l'ordre de la nature. Elle est pour ainsi dire contre nature. (Préface, Michel Gribinski)

Celui qui, d'une manière ou d'une autre, d'un point de vue social ou éthique, est mentalement anormal, celui-là l'est aussi invariablement dans sa vie sexuelle, si j'en crois mon expérience. Mais beaucoup sont anormaux dans leur vie sexuelle, qui se conforment en tous autres points à la ligne générale et qui ont suivi dans leur personne le développement culturel humain dont le point faible reste la sexualité.

Il est souvent possible de constater que le masochisme n'est rien d'autre qu'une continuation du sadisme, qui se retourne contre la personne propre, laquelle prend ainsi d'emblée la place de l'objet sexuel.

L'enfant se comporte à cet égard comme l'adulte en transformant sa libido en angoisse dès lors qu'il est incapable de la mener à la satisfaction ; et, en revanche, l'adulte devenu névrosé en raison d'une libido insatisfaite, se conduira dans son angoisse comme un enfant, se mettra à éprouver de la crainte dès qu'il sera seul, c'est-à-dire en l'absence d'une personne sur l'amour de laquelle il croit pouvoir compter, et cherchera à apaiser son angoisse au moyen des mesures les plus puériles.

C'est ainsi que la prédisposition sexuelle perverse générale de l'enfance peut être considérée comme la source d'un certain nombre de nos vertus, dans la mesure où, par formation réactionnelle, elle donne le branle à leur élaboration.