La guerre d'Alan : D'après les souvenirs d'Alan Ingram Cope [intégrale 3 tomes]
de Emmanuel Guibert

critiqué par Blue Boy, le 12 octobre 2013
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Une drôle de guerre
Cette BD est née d’une rencontre fortuite entre Alan Cope, un ancien soldat américain vivant en France et l’auteur Emmanuel Guibert. Une solide amitié va se tisser très vite entre les deux hommes. A partir des souvenirs d’Alan, Guibert va mettre en image ses souvenirs du débarquement en Europe, une histoire extraordinaire par son absence d’événements marquants… En effet, l’Américain va vivre la deuxième guerre mondiale en coulisses, ne croisera jamais la route de l’ennemi ou alors seulement de loin…

Je n’étais pas trop fan du trait d’Emmanuel Guibert, n’ayant lu que « Les Olives noires » que je n’avais pas du tout appréciées, tant sur le plan du graphisme que du scénario de Joann Sfar. Cela n’a rien à voir avec le fait qu’il recoure à un style minimaliste, c’est tout simplement parce que son trait ne flatte pas mon œil et manque de finesse, en tout cas dans l’œuvre précitée. Mais comme on m’avait dit beaucoup de bien de cette BD j’ai décidé de faire une nouvelle tentative. Et bien m’en a pris puisque après avoir attaqué ce récit à reculons, j’ai été obligé de me résoudre à l’évidence : « La Guerre d’Alan » est une réussite.

Revenons d’abord au dessin. Force est de reconnaître qu’il y a un mieux. Bien que cette même ligne claire un peu sommaire appliquée à ses personnages ne m’ait pas davantage emballé, j’ai en revanche été séduit par les cases représentant des paysages ou des scènes nocturnes, d’une qualité quasi photographique sans être pour autant réaliste, plutôt agréable à l’œil. Le minimalisme est en outre bien adapté à cette évocation, permettant ainsi de ne pas trahir et déformer les souvenirs du narrateur. C’est donc tout de même un drôle de dilemme pour moi …

Quant au récit, malgré les quelques longueurs constatées çà et là, surtout au début, on finit par se laisser emporter. C’est une drôle de guerre que cette guerre-là, une guerre sans combats, où à plusieurs reprises le soldat Cope frôlera la mort mais pas du tout face à l’ennemi et de façon très banale ! Mais ces « non-exploits », au-delà de leurs côtés amusants ou anecdotiques, n’auraient guère d’intérêt sans la seconde partie retraçant les pérégrinations du narrateur entre l’Europe et les États-Unis, une fois la deuxième guerre mondiale terminée et jusqu’au crépuscule de sa vie.

Car la Guerre d’Alan, c’est aussi une guerre contre lui-même, une guerre qui lui aura permis, alors qu’il avait atteint l’âge mûr, de se réveiller d’une vie somnolente pour être enfin lui-même… Alan Cope a fini par élire domicile dans cette Europe où il se sentait vraiment chez lui et où les gens lui semblaient avoir une plus grande profondeur d’âme. Et de la profondeur d’âme, cet ouvrage en a à revendre ! L’alchimie entre Cope et Guibert a très bien fonctionné pour produire une histoire d’une grande humanité, où l’on suit le parcours du jeune Cope insouciant et croyant jusqu’au Cope vieillissant et sceptique, qui, sentant poindre la mort, se met en quête de retrouver ses amis perdus de vue pour les étreindre une dernière fois. Une autre guerre encore, très touchante, pas toujours couronnée de succès hélas... L’histoire se conclut sur une note apaisante, contrebalançant le passage précédent où l’on peut voir une reproduction du dernier courrier de son ami le plus proche, alors qu’il était à l’agonie, très émouvant mais très dur également. Je recommande donc vivement cette très belle histoire d’amitié SUR l’amitié et ce qu’elle a de précieux.