Napoléon: Croquis de l'épopée
de G. Lenotre

critiqué par Jlc, le 10 octobre 2013
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Le serrurier de l'histoire
L’historien G.Lenotre ne se prénommait pas Gustave ou Gaston ou Gontran comme on le croit encore trop souvent mais G tout simplement, initiale de Gosselin son « nom de contribuable » disait-il. Belle embrouille pour ce passionné d’histoire dont le plus grand talent fut de rendre vie à notre passé en le dépoussiérant, en le libérant de la gangue solennelle, pontifiante et académique dans laquelle certains voulaient le maintenir. Lenotre n’instruit pas, il raconte. Documentaliste acharné, il refuse l’histoire trop sèche des historiens installés, leur préférant des récits de grand-mère pour traquer le petit détail, qui va donner au récit de la chair, de la couleur, du sentiment, de la vie, quoi ! Lenotre est le précurseur d’une façon de raconter l’histoire, plus proche d’Alain Decaux ou Sacha Guitry que de Renan ou Fernand Braudel

Son récit sur Napoléon Bonaparte est une suite de croquis, esquisses rapides, certes, mais aussi restitution précise quoique subjective de cette extraordinaire épopée qui vit l’élève abandonné de l’école militaire de Brienne devenir le maître de cent millions de sujets avant de connaître le déclin et la désillusion. Mille anecdotes sur des moments choisis par l’auteur de la carrière napoléonienne donnent à ce récit un charme romanesque qui se lit avec bonheur.

Saviez vous que Joséphine avait les dents gâtées et adaptait en conséquence son sourire ? Savez vous que cette femme adroite et séduisante baptisée par le peuple « son bon ange » sut lui concilier tout ce que Paris comptait d’importants ? Avez vous lu ailleurs le récit du divorce le 16 décembre 1809 ? « Il entre, ils s’embrassent, elle s’évanouit, il s’en va ». Lectrice (eur) du vingt et unième siècle, vous sursauterez en découvrant le secret du vote de l’époque avec deux registres, un pour les oui où il suffisait de signer, l’autre pour les non où il fallait décliner le détail de son identité. Lenotre nous raconte comment Bonaparte voulut entrer à l’Académie, classe des mathématiques. Le compte rendu officiel, conservé aux archives, mentionne que le général Bonaparte reçut 305 voix, ses deux concurrents 166 et 123 soit un total de 624. Cherchez l’erreur ! Lenotre démonte le mécanisme des fiches qui permettait à Bonaparte de montrer considération et reconnaissance à ceux qui étaient prêts à donner leur vie pour lui et ce qu’il représentait. Il met en lumière des personnages oubliés mais qui ont laissé des mémoires comme ce Duverger qui rêvait de rejoindre la grande armée et ainsi ne pas épouser celle que ses parents avaient choisie. Mais le malheureux connut surtout la retraite de Russie, avec le froid, la faim, la défaite et la mort qui lui « faisaient regretter la fiancée dédaignée qui au moins, elle, savait mijoter un ragoût ». Mais elle ne l’avait pas attendu !

G.Lenotre sait aussi émouvoir quand il raconte la triste histoire de Marianne Peusol, innocente victime de l’attentat de la rue Saint Nicaise ou lorsqu’il évoque la fin de l’épopée.

Certes, ce n’est que de la petite histoire regardée par le trou indiscret de la serrure mais, avec son trousseau d’anecdotes, le serrurier Lenotre nous offre bien des clés pour mieux comprendre les empreintes de notre Histoire.