À la recherche du Moyen-Âge
de Jacques Le Goff

critiqué par Macréon, le 13 mai 2003
(la hulpe - 90 ans)


La note:  étoiles
Le Moyen Age et notre futur
Médiéviste réputé, auteur de dizaines d'ouvrages qui s’efforcent - avec succès -de briser les clichés et les idées reçues, Jacques Le Goff est un des principaux artisans de “ la nouvelle histoire" , celle qui s'intéresse à la vie quotidienne et aux mentalités, qui prône l'étude de la longue durée.
L’auteur précise qu’il est agnostique, c'est-à-dire, selon la définition du Julien Green, qu'il n’est pas vraiment athée: “ je ne nie rien. D'une autre côté, je n’affirme rien."
Il est pourtant indéniable que cette longue période, très fortement imprégnée de christianisme, le fascine et lui permet d’exposer, avec empathie, tout au long de ce livre d'entretiens avec Jean-Maurice de Montremy, les lumières et les ombres de ces temps apparemment révolus.
Jacques Le Goff souligne, au début du livre, le plaisir nostalgique, indissociable de l’Histoire en général, le plaisir nostalgique d’une lutte contre la mort.
Dans son sens le plus large, le Moyen-Age s’étendrait sur près d’un millénaire, mais c'est surtout entre le XIe et le XIVe siècle que s'est construit un type de société, un système de valeurs qui ont caractérisé la “civilisation médiévale." Le concile de Latran IV (1215) a joué un rôle essentiel: tenu à Rome, il bouleverse la vie quotidienne et spirituelle des laïcs. Les Pères conciliaires inventent la pratique annuelle de la confession auriculaire ( à l’oreille d’un prêtre), promeuvent le mariage, qui devient un idéal de vie, en imposant le consentement mutuel et la publication des bans.
Ils condamnent l'hérésie, l’usure pratiquée par les Juifs mais aussi par certains chrétiens, permettent l'Inquisition, condamnent les homosexuels, les lépreux.

L'Eglise, qui a lu dans les écritures la condamnation du prêt à intérêt, apprenait à mépriser l’argent. Il n'empêche que les marchands-banquiers chrétiens font leur apparition; ils deviennent mécènes pour se faire pardonner et pour éviter les flammes de l'enfer.

Au Moyen-Age, tout était religion. Dans un grand élan de foi, les Croisades furent lancées bien sûr pour reprendre aux Infidèles la ville de Jérusalem, mais aussi par nécessité : en cette période d’accroissement démographique, il s’agissait aussi de pousser vers la Terre Sainte les jeunes chevaliers cadets, privés de terre par leurs aînés et aussi privés de femmes. “On détourne leur vitalité , leur violence contre l'Infidèle. Pour étendre la paix à l'intérieur, l’Eglise a porté la guerre à l'extérieur."
Le Moyen-Age vit l'essor de plusieurs entreprises ou de concepts. Il y a l'invention du Purgatoire,au XIIe siècle, qui aide à sauver les usuriers et les fornicateurs de l’enfer auquel chacun croyait fermement.
On assiste à la naissance et au succès fulgurant des ordres mendiants (les dominicains, les Franciscains en la personne de Saint François d'Assise). La paix de Dieu ( 980-1040) mobilise peuple,clercs et même seigneurs. Elle impose la suspension des combats pendant un certain temps. Le Jubilé,sur le modèle Juif de l'ancien Testament, est la fête de la solidarité et de l'effacement des dettes tous les cinquante ans.

Le Moyen-Age est aussi une grande période de circulation maritime et fluviale. “ Les hommes du Moyen-Age circulent; il n'y a pas de bons moyens de transports terrestres. L’Orient arabo-musulman repose sur les routes et les caravanes. L’Occident choisit la mer et les avancées techniques en matière de navigation sont considérables."
Jacques Le Goff insiste sur l’humanisme du Moyen-Age en dépit des zones d’ombres . L'auteur ne nie pas qu’entre le XIe et XIII siècle naissent de durables structures de persécutions: pogroms, enfermement des lépreux, mise en accusation et brûlement des "sodomites", répression inhumaine des hérétiques, emploi généralisé de la torture par les tribunaux d’Inquisition.
"Les médiévaux voulaient préserver la chrétienté de tout ce qui menaçait l'équilibre. Mais la fin ne justifie pas les moyens “.
L’Eglise ajoute aussi une exigence de pureté par rapport à la morale précédente. Une grande nouveauté : la chair est un péché ! Pour Jacques Le Goff, c’est l’aspect le plus négatif du christianisme.
Le haut Moyen Age avait repris les interdits de l’Ancien Testament. Désormais, le corps est diabolisé, en dépit de sursauts au XIIIe siècle, comme celui de Thomas d'Aquin pour qui le plaisir dans l’acte sexuel est licite.
Face à cette oppression morale , nous dit encore Le Goff( interview de l’auteur par Dominique Simonnet, l'Express du 6/5/2003), la société médiévale réagit par le rire, la comédie, la dérision ...Les gens de cette époque craignaient moins la mort que leur destin posthume. Certes, se déchaînent souvent la famine, la peste et la guerre, celle-ci d'ailleurs contenue par l'Eglise.
Mais la musique et la danse font descendre le Paradis sur terre. "L'univers médiéval est un univers de musique, de chant. Il promeut l’orgue, invente la polyphonie."
Pour notre éminent médiéviste, l’humanisme n’a pas attendu la Renaissance. Il affirme même que que cette période là est particulièrement vivante et fondamentale dans notre société d’aujourd’hui. “Je suis certain qu'elle influencera encore fortement notre futur."
D’ailleurs, le centre de gravité du christianisme ne se trouve plus en Europe. L'auteur admet que le XXe siècle est celui des jeunesses, de l’expansion, des avancées, avec, en contrepoint,celui des totalitarismes, des violences des injustices d'une gravité hélas proportionnelle à l'accroissement de nos capacités.
Belle critique! 8 étoiles

Quelle belle critique, Macréon! Le Moyen-Age est une période fascinante qu'on étudie de plus en plus et en laquelle on découvre mille trésors inattendus. Loin d'être la période sombre dont on parle, le Moyen-Age est plein de petites lumières qui exploseront lors de la Renaissance.

Sorcius - Bruxelles - 54 ans - 14 mai 2003