Mein Kampf, histoire d'un livre
de Antoine Vitkine

critiqué par Dirlandaise, le 17 septembre 2013
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Une enquête passionnante
En 1923, Adolf Hitler, condamné pour une tentative de putsch et emprisonné dans la forteresse de Landsberg met ses quelques mois de détention à profit pour rédiger un long texte publié sous le titre de Mein Kampf (Mon combat). Le livre est acheté par des milliers de personne et, sous le troisième Reich, il marque l’Allemagne nazie de son empreinte. Sa diffusion atteint le chiffre colossal de douze millions d’exemplaires. Même après la défaite du troisième Reich et la mort de son auteur, le livre n’a jamais cessé d’être un best-seller. Il s’en vendrait vingt mille exemplaires tous les ans en version anglaise et figure sur les listes des meilleures ventes dans plusieurs pays dont la Turquie. (J’ai reproduit quelques phrases de l’introduction.)

Dans cet ouvrage très bien fait, Antoine Vitkine retrace l’histoire de Mein Kampf et analyse l’impact qu’il a eu et a encore sur son lectorat. Il analyse aussi les motivations des lecteurs et comment le livre influence aujourd’hui leur pensée compte tenu de la situation politique et sociale du pays dans lequel ils vivent. Pourquoi les gens achètent-ils encore Mein Kampf ? Que cherchent-ils dans ce livre ? Est-ce par simple curiosité intellectuelle ou pour mieux comprendre Hitler et sa haine des Juifs ?

L’enquête menée par l’auteur pour la rédaction de son ouvrage l’a mené dans plusieurs pays et lui a fait rencontrer des éditeurs ainsi que des libraires. Les réponses obtenues à ses questions sont parfois étonnantes et donnent à réfléchir. Car il ne s’agit pas de minimiser le pouvoir de Mein Kampf sur des esprits malléables.

La première partie du livre se concentre sur la période d’avant-guerre alors que la deuxième partie expose le parcours et la diffusion de l’ouvrage aujourd’hui. Curieusement, c’est en Turquie que le livre se vend le mieux. Comme l’observe judicieusement l’auteur, cela est dû à l’histoire du pays car les gens s’identifient aux problèmes de survie auxquels Hitler fut confronté dans sa jeunesse. Certaines explications de l’engouement du lectorat pour Mein Kampf sont assez étonnantes.

Le dernier chapitre déroule les septs leçons à retenir de Mein Kampf.

Une enquête passionnante voilà ce que vous découvrirez en ouvrant les pages du livre d’Antoine Vitkine. Il a su bien cerner son sujet en rédigeant un livre d’histoire remarquable et très instructif.
Passionnant 8 étoiles

L'histoire de ce brûlot nazi devenu best-seller planétaire est finalement peu connue. Une enquête passionnante, rigoureuse et inédite. Elle permet de comprendre pourquoi Mein Kampf, manifeste du nationalisme et de l'extrémisme, reste d'une actualité brûlante en ce début de XXIe siècle.

Ravenbac - Reims - 59 ans - 14 novembre 2021


Une maladie mortelle du XXe siècle 8 étoiles

Cet ouvrage d’Antoine Vitkine est le résultat d’une enquête sur les succès ou insuccès passés et actuels d’un épouvantail qu’on n’ose qualifier de littéraire, pas plus que de philosophique ou de ce qu’on voudra. A quelles catégories pourrait d’ailleurs se rapporter un torchon nauséabond… ?
Une fois pour toutes, le livre d’Hitler n’est qu’un ramassis compulsif de rancœurs, de haines recuites, de délires racistes et xénophobes, de contrevérités historiques, bref, un de ces textes que des déséquilibrés produisent de temps à autre soit à compte d’auteur, soit grâce à quelque éditeur famélique. .Antoine Vitkine en décrit brièvement les défauts de construction : Bourré de redites, de formules approximatives, dans un style haché, etc. La forme ne le cède en rien au fond...
Sinon que son simplisme même est l’un des facteurs les plus favorables à son succès ! Hitler écrit comme il parle en hurlant des insanités, des clichés primaires et primitifs qui ont dès lors les accents de la vérité et qui iront impressionner quiconque ne demande qu’à s’y raccrocher .Le problème étant que de nos jours cette chose trouve encore des thuriféraires et des enthousiastes…

Si on veut traduire par une métaphore la nature de Mein Kampf, disons qu’il se comporte comme une bactérie, ou un virus. Les Européens d’une manière générale, sont vaccinés, de même que ceux à travers le monde qui partagent avec ceux-ci une culture commune au monde dit civilisé ; l’histoire du siècle écoulé nous ayant donné les moyens d’une analyse et d’une prise de conscience suffisantes afin de ne pas tomber dans une quelconque séduction. Tout au moins l’indifférence sert-elle de rempart à l’infection.
Comme on sait, l’infection (comme toutes les infections), trouve un territoire favorable à son apparition et à son développement dans des organismes affaiblis, aux défenses amoindries, déjà malades de quelque chose. Autrement dit, quels sont les facteurs favorisant la pathologie ? Un bref catalogue suffira : les frustrations, le déclassement, la mégalomanie, l’inculture, l’ignorance, le ressentiment, le narcissisme, la mythomanie, la paranoïa, le sentiment d’inutilité, le désir de revanche, la bêtise, les déséquilibres psychiques, etc. bref, tout ce qui concourt à produire un paumé, un pauvre type, fût-il docteur en philosophie (Goebbels). Le public « exposé » est donc facile à identifier.
En adoptant le point de vue inverse, l’agent pathogène se révèle ainsi en tant que traceur de la situation psychologique globale d’une société : la présence et la densité de l’agent pathogène renseignent sur la santé de cette dernière.
On voit immédiatement que la concentration plus ou moins importante des symptômes énoncés auparavant affecte bon nombre de nos contemporains, quelle que soit leur situation géographique. Et quelle que soit leur classe sociale tout aussi bien : on a vu, dans les années 1920 – 1930, émerger une sorte de « lumpen-bourgeoisie », comme il existe un lumpen-prolétariat, en Allemagne bien sûr, mais aussi un peu partout en Europe, et qui formera le noyau des bandes nazies.

Cette « mise en bouche » effectuée, il reste à décortiquer sommairement le travail d’Antoine Vitkine.
- Où l’on commence par nous détromper : Mein Kampf n’a jamais été oublié ni enterré, avant et depuis 1945, quoique sa genèse et le sort de son concepteur eussent pu faire croire le contraire.
- Comment est né ce pavé de 800 pages ? Dans une prison presque dorée en 1923, où un orateur méconnu du NSDAP et embastillé pour tentative de coup d’Etat, va disposer de temps libre afin de puiser dans sa poche de fiel et écrire, écrire… sa biographie et des projets d’avenir pour lui-même et l’Allemagne ; et lire aussi et pas du meilleur. Dans une Bavière hostile aux « rouges », il va vite être libéré grâce à la complicité des autorités (puis de ceux qui pensaient pouvoir le manipuler) et se mettre en devoir de publier son opus, par l’intermédiaire d’un éditeur peu regardant et complaisant.
- De quoi est-il constitué ? En gros de sa biographie, nourrie de tous les symptômes auxquels il est fait allusion plus haut. Tout ouvrage possède son fil rouge, sa boussole, son ultima ratio, ici sa marotte, l’objet premier et ultime de sa haine : Le Juif…. Et c’est au service de ce fantasme que l’Europe et le monde ont été conduits à la catastrophe.
- Où il est prouvé qu’un ouvrage conspiratif et destiné à un cercle d’abord restreint de militants, va progressivement devenir un « best-seller », suscitant tantôt l’enthousiasme, tantôt l’incrédulité et l’incompréhension, voire le mépris, selon de quel côté de la « fracture sociale » (anachronisme, je sais : l’ENA n’existait pas encore) on se trouve, aussi bien à l’étranger qu’en Allemagne. La chose est tellement délirante qu’elle peut se résumer à la formule bien connue : « Plus c’est gros, plus ça passe ».
Bréviaire des nazis, puis bréviaire des Allemands, au point qu’on le tirera à des millions d’exemplaires, remis notamment aux jeunes mariés, une fois son auteur arrivé au pouvoir.
- Au chapitre V, description de la carrière de ce livre en Europe et ailleurs, aussi bien parmi la « base » que chez les classes dirigeantes, avec un développement intéressant de sa diffusion dans notre beau pays de France, par les bons soins de l’éditeur Sorlot, trempant dans le pétainisme. Lui faisant suite, un rappel historique demeuré plutôt méconnu intéressant le
- Chapitre VI, fait remonter à la personne du maréchal Lyautey et de son entourage la préparation (je dirais « l’engrais ») d’un certain public aux publications telle que Mein Kampf. Le vieil antisémitisme antidreyfusard, accouplé (comme le chien à la chienne) à l’anticommunisme né de la révolution bolchevique, vont y trouver une manière de « divine surprise » à même d’alimenter leurs propres fantasmes.
- Suit, au chapitre VIII, la mise en application, les travaux pratiques appliqués au réel, l’issue fatale des principes énoncés par le nazisme : la Guerre Mondiale. On connait la suite.

Après quoi on pourrait se dire : ouf ! C’est fini, après Nuremberg, morte la bête, mort le venin.
Mais pas du tout.

La dernière partie du livre d’Antoine Vitkine (justement intitulée « Une histoire sans fin »), nous entraîne tout d’abord dans l’exégèse des travaux produits par les historiens allemands après 1945 et leurs perceptions successives du phénomène nazi et de son « bréviaire », tout comme de l’interdiction de publication et de diffusion en vigueur en Allemagne… où le tabou et l’ambiguïté se livrent un combat feutré non dénué de zones d’ombres.
Puis de la postérité du sieur Sorlot, et des plaintes portées contre la diffusion du livre,
Enfin, sortant du cocon bien (?) préservé du quasi « espace Schengen » entourant nos bons pays éclairés, nous découvrirons avec quel enthousiasme Mein Kampf poursuit sa carrière ouvertement, publiquement, dans les librairies de Chine, Grèce, Japon, Croatie, Russie, Corée du sud, Argentine, Maroc, Pays-Bas, Indonésie, Colombie, Turquie (un «must » là-bas !), etc. etc. sans oublier les pays arabes où tout bouffeur de Juif aura toujours du succès, à l’image de « Protocoles », encore étudiés et diffusés.
En exergue figure une citation de Günter Grass : « ça ne finit pas, ça ne finira jamais… ». Tant qu’on n’aura pas coupé l’herbe sous les pieds des « malades » signalés au cinquième paragraphe de cette critique.

Radetsky - - 81 ans - 21 février 2016