Question de méthode
de Philip K. Dick

critiqué par AmauryWatremez, le 13 septembre 2013
(Evreux - 55 ans)


La note:  étoiles
Pour entretenir sa compulsion dickienne
Folio SF continue (la grâce du Très Haut du Miséricordieux soit sur eux !) à rééditer l'intégrale des nouvelles de Philip K. Dick auparavant parues en « Présences du Futur » chez Denoël, entretenant ma compulsion « dickienne » (quasiment tout un rayon de ma bibliothèque). Et ce recueil a l'avantage de ne pas être pour une fois un simple « coup » commercial lié à la sortie d'un film inspiré de l'auteur de « Ubik » ((TM°) en vente partout en aérosol, en sachets, en poudre et en solution liquide je le rappelle), et de proposer des nouvelles inédites et des traductions moins bâclées que les précédentes pour les deux nouvelles déjà sorties dont « un monde de talents ».



Ce livre regroupe des histoires parues bien avant la crise mystique de l'écrivain en 74 et « la Trilogie divine », il échappe à l'influence de Van Vogt et vit à l'époque, les années 50, de manière à peu près stable avec sa deuxième femme (je dis bien « à peu près » car il fera de ce mariage une description très drôle et chaotique dans « Confessions d'un barjo » fielleusement dédié à cette seconde épouse). Il produit sans cesse, en s'aidant de tout ce que la pharmacopée de cette époque autorisait en vente libre, ou pas. Contrairement à ce qui est souvent dit ou écrit, Dick consommait peu de drogues illicites, mais beaucoup d'amphétamines, et il n'a pris du LSD qu'une fois, car son imaginaire provenait surtout de son cerveau en ébullition et non de l'influence de « trips » plus ou moins bien vécus.



Un personnage fait pousser des vaisseaux spatiaux dans son jardin, les terriens acquièrent après l'Apocalypse le pouvoir de concrétiser toutes leurs hallucinations, les psys sont des robots qui comme d'habitude chez Dick sont plus « humains » que leurs patients, les bureaux sont insolents avec les cadres en costume et finalement une ménagère finit par penser, à la grande surprise des policiers, que la possession de son mari par un « alien » n'a pas que des inconvénients car la copie se révèle beaucoup plus attentionnée que l'original, dur, sec et sans cœur.



Les dieux y sont de grands gamins immatures qui mangent trop de sucreries mais néanmoins plus sages que les « maîtres du monde » et on les appelle de "grands benêts". Le premier totalitarisme, fondé sur des platitudes et un discours fade qui dit tout et son contraire, et vraiment réussi envahit le monde par l'intermédiaire de réseaux électroniques et de la télévision, le monde entier finissant par se conformer aux lieux communs débités à longueur de temps par un avatar « gestalt » manipulé par les vrais maîtres de la société, ça ne vous rappelle rien ?, dans « à l'image de Yancy » qui est des plus prophétiques. Dans ce récit, le spectacle domine les esprits ; l'instinct grégaire et l'apparence y sont fondamentales.



J'ai beau connaître par cœur les « ficelles » qu'il utilise, je me laisse surprendre à chaque fois par les retournements des histoires et le sens aigu de l'absurdité de Dick qui montre que même dans un lointain futur, même après une guerre atomique, même environné d'extra-terrestres bienfaisants mais mourants, les Biltongs, l'être humain se leurre tout autant que maintenant sur les véritables aspirations qui le motivent, et que celles-ci sont à de maints égards parfaitement grotesques.


Finalement, dans ses livres, qui sont de la SF dite implicite (contrairement à Asimov et Clarke qui prétendent prédire le futur et expliquer le fonctionnement de tous les engins qu'ils inventent) Dick parle surtout de nous et de notre époque.


C'est la raison pour laquelle il est beaucoup plus intéressant que les deux auteurs précités. Et tout comme Bradbury, c'est au fond un écrivain au sens propre, peu importe l'appartenance de ses œuvres à un genre ou l'autre. Pourtant, pendant des années, il a cru pouvoir écrire des romans dits « mainstream », souffrant du mépris des critiques, et d'autres écrivains, romans qui justement à l'exception de « Confession d'un barjo » sont beaucoup moins intéressants

couverture empruntée au site "Decitre"
Remarquable, encore une fois 9 étoiles

Un des meilleurs recueils de nouvelles de Philip K. Dick selon moi. Aussi bien "Un Monde De Talents" que "La Petite Boîte Noire" (qui aborde le mercerisme, idéologie que l'on retrouvera dans "Blade Runner"), sans oublier "Le Banlieusard" ou "Visite D'Entretien", sont de purs petits joyaux de SF. 400 pages qui se dévorent, en somme !

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 27 mars 2014