Volt
de Alan Heathcock

critiqué par Pucksimberg, le 12 septembre 2013
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Un futur grand auteur américain
Voilà un bon recueil de nouvelles qui nous plonge dans la noirceur d'une Amérique où les hommes sont des êtres déchus ! Donald Ray Pollock a bien raison quand il écrit : "Volt est la preuve galvanisante de son incroyable talent." Heathcock a inventé une petite ville : Krafton. On n'en sait pas plus. Elle est typée américaine. Presque intemporelle. Les histoires pourraient se dérouler aussi bien au 20ème siècle que de nos jours. On y croise le pasteur, le shérif, des troupeaux de vaches, des familles traditionnelles. Ne vous y trompez pas ! Le cadre spatial rappelle peut-être celui de la série "La Petite maison dans la prairie", mais les histoires absolument pas ! Ces nouvelles sont noires, réalistes et marquantes. Tous les personnages souffrent, subissent l'existence et survivent dans un univers plutôt hostile. La femme shérif fait justice par elle-même, un pauvre fermier tue accidentellement son fils avec son tracteur, un père demande de l'aide à son fils pour cacher le cadavre d'un homme qu'il vient de tuer. Chaque nouvelle est une véritable décharge de 10 000 volts. On est même horrifié par cet univers, parfois suffocant.

Le lecteur a le sentiment d'entrer dans des secrets d'alcôve. Ce n'est pas la part de lumière des êtres humains qui est montrée, mais surtout la part d'ombre. On aurait à tort l'impression que ce recueil est une simple photographie du monde rural de l'Amérique profonde. Dans certains détails, c'est bien de l'Homme dont il est question. Il y a ce couple qui peut difficilement passer le cap face à la perte d'un enfant, une mère qui soutient son fils même s'il est monstrueux, cette pauvre femme qui ne peut garder sa mère atteinte d'Alzheimer et qui l'a confiée à une maison de retraite. Ce caractère universel se perçoit aussi par ses diverses allusions culturelles. Les renvois à la Bible en sont un parfait exemple, avec Lazare et l'inondation ( Je n'en dis pas plus par respect pour la lecture des prochains lecteurs ). Il y a aussi des renvois aux mythes comme celui du labyrinthe et du Minotaure dans l'une des nouvelles.

Ces nouvelles sont comme des tableaux car elles sont visuelles. On parvient aisément à s'imprégner d'une atmosphère. Elles touchent aussi à ce qui pouvait sembler indicible.

Un vrai talent de conteur !
Pas aimé du tout ! 2 étoiles

Et donc pas d’accord avec les critiques précédentes…
Ces nouvelles, je m’y suis ennuyée, je m’y suis perdue...
Certes c’est (très) noir mais ça ne suffit pas à faire un bon livre (lisez plutôt Ron Rash…)
Une des nouvelles alterne les allers-retours dans le temps difficiles à suivre – et arrivée à la fin de la nouvelle, je n'ai absolument pas compris l’intérêt de ces allers-retours (à part perdre les lecteurs)

Ludmilla - Chaville - 69 ans - 5 septembre 2017


l'endroit où tombe la foudre 8 étoiles

Volt est un le premier recueil de nouvelles publié par A. Heathcock. Le point commun de ces huit nouvelles est de se dérouler à Krafton, ville fictive de l'Amérique profonde, dans laquelle se débattent, comme les papillons de nuits dans une bouteille renversée, des êtres fracassés par la vie.
Avec un réalisme brutal, l'auteur décrit la vie d'hommes rudes et impitoyables, rongés par leur passé, leur culpabilité, leurs soifs d'ailleurs et de rédemption, d'autre chose que de cette existence.
"Dieu", ou du moins, la religion et ses concepts (le pardon, la grâce, le péché…) fait partie des personnages récurrents de ces nouvelles. Il est partout, à la fois excuse pour les meurtriers de petite fille ("je suis chrétien, dit-il. Je suis pardonné") ou fin de l'espoir d'une rédemption ou d'un pardon. Dieu semble au mieux avoir abandonné ce patelin de l'Amérique profonde, au pire en faire la cible de son courroux tant s'y succèdent les catastrophes "naturelles", tant la tension y est forte qu'une étincelle suffit à faire exploser la violence.
La guerre aussi est omniprésente : passée, présente, à venir, quel que soit son visage, elle apporte avec elle le deuil, la culpabilité, et des séquelles qui ne seront jamais dépassées : "Il est revenu de cette guerre et c'était plus le même. Oh, gémit-elle, il me manque. Il me manque quand il est à côté de moi, dans la même pièce. Même quand il est dans mes bras, il est pas là." Elle martela sa cuisse du poing. "C'est mon précieux bébé et il est brisé. Il est brisé, il court comme un fou, et j'ai le cœur brisé et ya pas de fichue loi pour changer ça".
Et puis, à Krafton, on trouve également Helen Farraley, Shérif de son état, qui apparait dans plusieurs nouvelles, et dont on fait la connaissance dans "Gardienne de la paix". Elue à son poste par hasard, elle décide de prendre son rôle au sérieux, et d'appliquer une "justice" qui n'a rien de juridique. Alors discrètement, elle pratique la loi du talion en sacrifiant sa conscience pour apporter un peu de lumière à ses contemporains.

Volt, c'est un recueil de nouvelles sombres et tristes ; on y côtoie un homme qui se ne supporte plus après avoir tué son fils par accident, des jeunes gens en permission qui tournera mal, un homme qui demande à son fils de l'aide pour cacher le corps de l'homme qu'il a tué, une femme rendue folle de douleur après le meurtre violent de sa mère et qui tente de trouver un autre chemin en créant un labyrinthe dans son champ de maïs… L'écriture de Heathcock est très belle, à la fois poétique et réaliste, les récits sont bien maitrisés, de leur commencement à leur chute.
Ce recueil est à lire d'une traite, pour profiter du souffle, de la cohérence et des liens entre les nouvelles, mais à éviter si le moral n'est pas au beau fixe !

"On croit que certains sont juste mauvais, malveillants ou Dieu sait quoi mais, à un moment donné, ils ont été le bébé de quelqu'un, ils ont tété le sein comme tout le monde. Et puis ils se prennent un coup de volt et ils ne sont plus jamais pareils"

Ellane92 - Boulogne-Billancourt - 49 ans - 12 mars 2014


Des enfants de Dieu 8 étoiles

En lisant ce livre, Lino Ventura aurait certainement dit, comme en ingurgitant son tord-boyaux dans « Les Tontons flingueurs », « c’est du brutal ! », oui du brutal, du violent, du sordide, une vraie gifle en pleine tronche tellement les huit nouvelles regroupées dans ce recueil secouent le lecteur. Huit nouvelles inspirées de la vie de Krafton, petite ville imaginaire du fond de la cambrousse américaine, située entre Chicago, où est né l’auteur et Boise (Idaho) où il enseigne - mais plus près de Chicago car plusieurs protagonistes rêvent de partir vers l’ouest - avec sa femme shérif, son maire-épicier, et ses habitants rudes, rustiques, un peu frustes, durs au mal, travailleurs infatigables mais prompts à la violence et partisans d’une justice expéditive et immédiate. « Parce que, ici, certains sont coupables à la seconde où on pose les yeux sur eux, et le rôle de la loi devrait être de les arrêter avant qu’ils fassent ce pourquoi ils sont venus monde ». Des femmes et des hommes qui ressemblent étonnement aux pionniers qui ont colonisé ce coin de far west dans la violence et la douleur, souvent confrontés à un sort contraire, à la malchance et à la fatalité.

Pour présenter ce premier recueil, l’éditeur évoque Flannery O’Connor et Cormac Mac McCarthy, je considère cette allusion plutôt pertinente car j’ai eu l’occasion de lire « La sagesse dans le sang » du premier et « Un enfant de Dieu » du second et les héros de Heathcock sont aussi abominables et sordides que ceux des deux précédents, ils ont commis des actes innommables, impensables, mais ils restent des enfants de Dieu avec leurs failles, leurs faiblesses, leur destin, leur histoire, leurs instants d’humanité et de tendresse et ils ont aussi leur part de sagesse dans le sang. Des gens peu cultivés, abrutis de travail, nourris de la religion baptiste, qui se trouvent confrontés au fameux cycle : faute, punition, rédemption, culpabilité éternelle ou résilience définitive. Mais ce recueil me semble plutôt traiter du pardon, du pardon sous toutes ses formes : l’admission, la compréhension, l’acceptation, l’accommodement avec le tort, la résilience et même le pardon à soi-même. Comme une lueur d’espoir qui éclairerait l’avenir de ces êtres accablés par le sort. « Peut-être que Dieu se sert de choses horribles pour nous parler, … Peut-être que les gens ne se fient plus aux choses bonnes. Peut-être que les choses horribles sont tout ce qu’il reste à Dieu pour nous rappeler qu’il est vivant ».

Heathcock dépeint ces péquenauds, « on peut enlever le fermier de son champ, mais pas le champ du fermier », et leur campagne avec un regard lucide et acéré, dans un langage dépouillé et précis, les faisant vivre comme s’il avait lui-même partagé leurs misères dans ce trou de cambrousse, dans le souffle des grands espaces du far west. Il fait preuve d’une grande maitrise de ce type de récits, gardant toujours un équilibre parfait et une progression bien dosée pour amener une chute toujours heureuse et crédible.

Débézed - Besançon - 77 ans - 22 septembre 2013