En un pays lointain
de William Goyen

critiqué par Jlc, le 10 septembre 2013
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Châteaux en Espagne
A New York, un certain MacDougal tenait boutique d’articles de pacotille estampillés « made in Spain » bien que fabriqués dans les ateliers de la vingt troisième rue Ouest : « Le sortilège espagnol ». Il s’y présenta un jour une dénommée Marietta Mac Gee-Chavez. Passionnée d’Espagne, elle fut prestement employée puis épousée. Elle se cloîtra dans une chambre qu’elle baptisa « Espagne » et qu’elle refusa vite à M.MacDougal qualifié d’espagnol professionnel. Marietta se sentait victime d’un conflit de sangs : Mac Gee était un vieux nom du Texas, venant de sa mère, écossais-irlandais ; Chavez, un nom espagnol, celui de son père, hispano-américain. « Il fallait bien s’en faire une raison : elle était une sang mêlé ». Si elle avait la chute de reins castillane et l’éclat du teint espagnol, l’ensemble était compromis par le blond filasse de cheveux venant de ses ancêtres texans.

Rien dans tout cela de bien original, les questions d’identité ayant toujours été, comme dans la vie, une abondante source littéraire et romanesque. Mais William Goyen, chez qui n’existe aucun antagonisme entre poète et romancier, va introduire par petites touches des incidents qui vont donner à son récit un caractère quelque peu surréaliste, voire féerique. Ainsi Marietta, se disant désormais Reine d’Espagne va se prendre de passion pour un oiseau « coureur de route » dont elle mettra quelques plumes dans son oreiller. Ainsi vont apparaître sur ce territoire hispanique des visiteurs, certains envoyés par M.MacDougal pour distraire sa femme. On y rencontre un dénommé Cumberly, dépourvu de rêves, mais joueur d’une mandoline dont les cordes sont les cheveux d’une bien aimée. Ou la poétesse Oris dont le poème est « un long silence et une larme qui brillait ». Mais aussi un prêtre et une religieuse, un officier de police qui aurait pu être matador avec « toute l’ardeur de la mort et de l’Espagne », une histoire d’amour dont chaque personnage est « le rêve de l’autre ». Chacun va raconter au cours d’une longue veillée sa passion cachée, les choses qu’il faut dire aux autres pour les empêcher qu’elles ne meurent, le souvenir de la vieille maison du pays perdu pour retrouver le passé sans lequel on ne peut vivre. Et ainsi va se créer un lieu de rencontre dans lequel « on n’entre pas sans désir », une communauté qui peut réussir à s’aimer, un moment où chacun livre ou découvre une partie de lui-même. Et tout cela pour « essayer de trouver le petit ruisseau clair de notre âme qui veut courir au soleil. »

Goyen disait qu’il était le plus célèbre des écrivains inconnus et il est vrai que la littérature américaine contemporaine n’est pas trop portée au lyrisme qui est sa marque de fabrique à lui, son « made by Goyen ». Le charme de ce livre tient au fait que les circonstances restent plausibles avec toutefois des fêlures qui révèlent une fragilité, une tristesse indicible. Goyen a toujours été très attentif, à l’inverse d’un Beckett, à définir l’environnement dans lequel il situe ses histoires. Il disait avoir souvent besoin de recréer des chemins perdus, des lieux disparus, des façons de vivre évanouies et c’est très exactement ce que fait Marietta en qui il voit une résistante ou une réactionnaire qui s’oppose à un monde qui ne prend plus le temps d’attendre. Mais ce monde, recréé l’espace d’une veillée, reste fragile comme ces châteaux en Espagne bâtis sur du sable et des rêves. Et on sait bien que tous les rêves se brisent et les châteaux s’écroulent.

Un beau roman auquel il faut la patience de se laisser prendre tant il est « tissé par le rêve qui passe sur ces personnages évanescents, s’éparpillant en un fouillis de ronces et de semence. »