Les brumes de Riverton
de Kate Morton

critiqué par AnnyPeron, le 7 septembre 2013
( - 52 ans)


La note:  étoiles
Mémoires d'une vieille dame
Ah, les mémoires des vieilles dames. Je dois dire que c’est quelque chose qui me touche particulièrement.

Ici, nous rencontrons Grace BRADLEY, au seuil de sa vie. Une réalisatrice de films lui demande sa collaboration, afin de l’aider à restituer, au mieux, l’histoire d’une famille aristocratique à partir du XXème siècle : les HARTFORD.

Cette demande est douloureuse pour Grace, qui éprouve beaucoup de peine (et de culpabilité) à se remémorer ses jeunes années, ainsi que la funeste destinée de cette famille qu’elle a servie très jeune. Mais, à la fois, satisfaire à la demande de la réalisatrice du film est un exutoire pour Grace : elle va finalement faire de son témoignage, une opportunité pour raconter à son petit-fils toute la vérité sur sa vie.

Je me suis terriblement attachée à Grace, évidemment, petite bonne du début du XXème, préparée dès son plus jeune âge à ses futures fonctions de domestique, notamment pour servir avec dévotion ses « maîtres », les HARTFORD.
J’ai aussi été attendrie par les enfants HARTFORD (les 2 soeurs, Emeline et plus particulièrement Hannah dont Grace est devenue par la suite la camériste), ainsi qu’à leur frère David et à leur ami, le poète Robert HUNTER. De jeunes âmes confrontées à la 1ère guerre mondiale et aux séquelles qu’elle aura pu leur laisser, de jeunes âmes accidentées dans et par leur vie de jeunes adultes…

Outre le triste destin de cette famille, ce livre est aussi un témoignage de réussite, celui de la petite Grace, qui va réussir son ascension sociale.

Je ne raconte pas la fin du livre, (d’une part parce que ça ne se fait pas), et puis car les clés du dénouement de l’histoire ne sont révélées que dans les dernières pages.

Morceau choisi :
« Cachée derrière le grand fauteuil, occupée à balayer les pétales séchés qui jonchaient le sol, j’essayais de me représenter ce que c’était que d’avoir des frères et soeurs. J’en avais toujours rêvé. Je l’avais même dit un jour à ma mère ; j’avais demandé si je pouvais avoir une soeur, quelqu’un avec qui échanger des potins, échafauder des intrigues, partager rêves et murmures. Elle avait ri, mais d’un rire sans joie, puis avait répondu qu’elle ne commettrait pas deux fois la même erreur.
Je me demandais quel effet cela faisait d’avoir sa place en un lieu précis, de pouvoir affronter le monde, d’appartenir de naissance à une tribu d’alliés. Je réfléchissais à tout cela en époussetant le fauteuil lorsque tout à coup quelque chose a bougé sous mon plumeau. Un plaid s’est rabattu et une vois de femme a coassé :
- Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Hannah ? David ?
La dame était si vieille que la notion d’âge en soi n’avait plus de sens. Cacochyme, tassée au milieu des coussins, elle passait inaperçue. Ce devait être la fameuse « nounou Brown ». J’en avais entendu parler à mi-voix, en termes respectueux, tant à l’étage noble qu’à l’office : elle avait élevé lors Ashbury en personne et était une institution dans la famille, au même titre que le château.
Je me suis figée, le plumeau à la main, sous le regard de trois paires d’yeux bleu clair.
La vieille dame a repris la parole :
- Hannah ? Qu’est-ce qu’il y a ?
- Rien du tout, nounou, a répondu Hannah, qui avait enfin retrouvé sa langue. Nous répétons pour la pièce de théâtre. Nous allons essayer de faire moins de bruit.
(…/…)
- Vous n’avez pas l’âge d’être femme de chambre.
- J’ai quatorze ans, Mademoiselle.
- Tiens ! Comme moi. Emmeline a dix ans. Quant à David, lui, il est carrément vieux : seize ans.
- Et vous époussetez toujours les gens qui dorment, Grace ? a questionné ce dernier. »