Lumière d'août
de William Faulkner

critiqué par Bluewitch, le 14 avril 2003
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
« La mémoire croit avant que la connaissance ne se rappelle »
Avec Faulkner, on ne sait jamais trop à quoi s’attendre. Une écriture complexe, riche, directe, oui, elle se retrouve certainement dans chaque roman, chaque récit coulé de sa plume. Mais voilà, il ne s'agit pas seulement de ce style singulier. Il y a cette déroute qui surgit toujours.
La clarté des faits est un leurre, un prétexte. Un prétexte pour cette noirceur, ce cri poussé à chaque phrase. C’est une analyse, un pamphlet contre la race humaine, un doigt tendu, un boulet traîné.
Dans « Lumière d’Août », William Faulkner prend un crime comme élément central de son récit. Christmas, un mulâtre à la peau si blanche qu’il trompe à sa guise et heurte son sang noir comme un défi à l'autre, commet un crime, l'irréparable. Il tue une quadragénaire, vieille fille dont il fut l’amant. Ce qui intéressera l’auteur, ce seront ces mobiles qui poussent les humains à agir comme ils le font. Genèse d’un meurtre, ici, à travers de cet enfant mal aimé, malmené que fut Christmas.
Autour de lui gravitent de nombreux personnages : Lena Grove, cette jeune femme qui quitte sa ville natale à pied, enceinte jusqu'au cou, afin de retrouver le responsable de son état qui lui a promis de venir la chercher et n'est jamais revenu. Lucas Burch, le vaurien en question, réfugié à Jefferson, ville où se déroulent les événements, sous le nom de Joe Brown, où il rencontre Christmas et partage son logis ainsi que son trafic d'alcool. Byron Bunch, le samaritain, qui recueille Lena à son arrivée à Jefferson. Hightower, le pasteur renié et en quelque sorte excommunié, confident de Byron. McEashern, le père adoptif de Christmas, puritain violent, et son épouse, femme passive et détestée. Miss Burden, l'amante assassinée, solitaire et nymphomane…. Et bien d’autres encore.
Tous ces personnages sont là, messagers de Faulkner, de son puritanisme sauvage, de sa misogynie. C’est l’analyse de chacun à travers ses actes, ses pensées. C’est la dénonciation de la luxure, la phobie de l'acte sexuel, la violence en réponse à toute obsession. Ces femmes abhorrées, à « l’instinct de la dissimulation », douées dans leur « infaillibilité à concevoir le mal ». Ces hommes faibles, manipulés par elles.
Un roman sombre, oui. Un parcours, une longue dispersion. Des vies perdues, des vies trouvées. C’est la sauvagerie du Sud, son impulsivité, sa lourdeur. Une atmosphère suffocante, parfois. Mais il s’agit vraiment d’un roman intense, intelligemment construit, plus clair peut-être que « Le bruit et la fureur » mais non moins élaboré.
Un livre éprouvant mais vivant, très vivant. Faulkner reste à mes yeux un très grand écrivain.
La genèse d'un crime 8 étoiles

Cela faisait un bon moment que Lumière d’Août dormait avec ses confrères dans la pile des livres à lire. Souvent je l’ai ouvert puis refermé, quelque peu refroidi par les avis d’amis lecteurs qui m’ont beaucoup parlé du côté technique de Faulkner, de la complexité de la trame narrative, bref de la difficulté d’apprécier cet auteur.
Après plusieurs jours de lecture je peux bien dire avoir été agréablement surpris. Par bien des aspects ce roman m’a fait penser à l’excellent De Sang froid de Truman Capote : le côté clinique de l’écriture, le travail précis sur la psychologie des personnages, la retranscription du moment vécu en jouant sur les sens, la construction précise d’un drame annoncé.
Malgré quelques longueurs je ne me suis pas ennuyé un seul instant, pris intensément dans une histoire savamment imaginée car à la différence du roman de Capote il ne s’agit pas ici d’un roman non fictionnel mais d’un fait complètement fictif. Et c’est là que réside le génie de Faulkner. L’écrivain pousse la narration à un tel niveau que l’on croirait lire la genèse d’un crime réel.
Une lecture originale, un roman à découvrir

Sundernono - Nice - 41 ans - 25 août 2016


Lumière noire 9 étoiles

Un roman superbe, mais qui secoue.

Superbe par le savoir faire romanesque dont fait preuve Faulkner, qui refusant la linéarité de l’intrigue, bouscule le temps et l’espace, fait se croiser des personnages, des générations, tout en conservant au roman unité et équilibre interne.
Superbe par l’écriture dense, qui fait parfois se superposer, au sein d’une même phrase, le présent d’une action, le passé qui l’explique et ce qu’il en adviendra dans le futur ; ou fait se mêler ce que sait un personnage et ce qu’il ignore, permettant ainsi au lecteur de saisir tout ce qui détermine les démons intérieurs de ce personnage .
Superbe aussi par la richesse des notations sensorielles . Faulkner y révèle comment la perception d’une situation s’effectue par les sens en éveil et se répercute dans l’ensemble du corps.

Roman magistral et qui a le pouvoir de réveiller la conscience.
Le lecteur y entend la voix collective de ce Sud des Etats Unis où le plus obscur des puritanismes prêche la haine et la discrimination.
Il fait du Noir l’être qui porte sur son corps, tel un stigmate, « la noire malédiction du Dieu Tout –puissant ».
Il ne voit dans la femme qu’une source de péché, une femelle dont la chair est « le signe de l’abomination divine », « la forme ambulante de la chiennerie », dont l’esprit est porteur de « l’instinct de dissimulation et l’infaillibilité pour concevoir le Mal », femme que le révérend Hightower réduit à l’état de « Chose passive et anonyme que Dieu avait créée pour être non seulement le récipient, le réceptacle de la semence de son corps mais également de son esprit qui est Vérité »
Il octroie à l’homme -le mâle-, le droit de faire « couler le sang, à la manière des inquisiteurs », le droit d’être l’instrument de la volonté de Dieu, un Dieu de colère, de vengeance et de haine .
Tant de mal au nom de Dieu !
Une saison en enfer, dans un monde de fous mystiques, de redresseur de torts figés dans la certitude inébranlable du bien fondé de leurs actions.

En contrepoint, les passages où apparaît le personnage de Léna, dont la candeur rayonne et suscite autour d’elle des comportements de bons samaritains, ménagent des moments de respiration et projettent sur cet univers sombre comme une lumière d’août bienvenue.

Un roman qui en dépit de son titre m’est apparu comme celui d’un monde étouffant et d’une noirceur absolue.

Alma - - - ans - 17 septembre 2015


"Je peux essayer de le faire... " ! 10 étoiles

William Faulkner (1897-1962) est un romancier et nouvelliste américain. Publié à partir des années 1920, il reçoit le Prix Nobel de littérature en 1949, alors qu'il est encore relativement peu connu.
La plupart de ses récits se situent dans son état natal du Mississippi.
Au-delà de cette appartenance à la culture sudiste, il est considéré comme l'un des plus grands écrivains américains de tous les temps.
Ses romans les plus connus sont "Le Bruit et la Fureur" (1929), "Tandis que j'agonise" (1930), "Sanctuaire" (1931), Lumière d'août (1932) et "Absalon, Absalon!" (1936), souvent considéré comme l'un des plus grands chefs-d'œuvre de la littérature universelle.

Une oeuvre consistante qui s'ouvre et se referme sur le personnage de Léna Grove, jeune paysanne enceinte à la recherche de Lucas Burch, beau-parleur, père de l'enfant qu'elle porte et qui lui a promis qu'il l'enverrait chercher.
Sa route va croiser celle de nombreux hommes aux vies déjà écrites, aux destins tracés, aux espoirs fracassés.
Des personnages damnés qui tentent de passer leurs vies à se rallier à la race des hommes.
Christmas, ouvrier noir qui vit une passion sexuelle intense et secrète avec Joanna Burden, une femme plus âgée issue d'une famille abolitionniste.
Le révérend Gail Hightower, qui devient le paria de sa communauté par les frasques de son épouse.
Byron Burch; un célibataire, un homme seul qui a pu vieillir sans avoir à connaitre le désespoir d'aimer et qui aimerait tant offrir un toit à Léna et son bébé. Mais.....

Quasi impossible de résumer ce roman immense, dense, puissant. Faulkner jongle avec l'itinéraire de chacun des personnages pour tenter d'expliquer leurs actes.
Un "Sud" à la population moutonnière, fortement puritaine.
Haine et violence ne sont jamais très loin.
Il est question de racisme, de Dieu et du Diable, de l'obscurité, des ténèbres et de la clarté.
Celui qui tente de transformer l'ordre établi est violenté, tué, au nom de la malédiction divine .
Il faut lire cette oeuvre magnifique qui vous prendra aux tripes.

Un très grand moment de littérature !

Frunny - PARIS - 59 ans - 13 septembre 2015


Chef d'oeuvre 10 étoiles

Voilà, après l'écriture de très bons livres, Faulkner touche enfin au sublime.

Lumière d'Août est une oeuvre carrefour, elle est donc à lire de préférence après toute les autres, ou du moins il ne faudrait pas la prendre comme introduction au monde sombre et tourmenté de William Faulkner. C'est en revanche une magnifique synthèse de tous ses livres précédents, où parfois le style, par ailleurs parfait, prenait un peu trop le pas sur le fond.

Ici je ne trouve absolument rien à dire, toutes les conditions sont réunies. Quelle force dans les personnages, quelle profondeur, que de non-dits, c'est à se damner tellement c'est beau.

J'ai également trouvé la préface du traducteur Monsieur Coindreau extrêmement instructive pour mieux assimiler le roman et l'oeuvre de ce magicien des mots qu'est William Faulkner.

Rafiki - Paris - 33 ans - 22 juin 2014


Eblouissant ! 10 étoiles

On ne peut résumer un tel livre sans le dénaturer totalement comme on ne peut domestiquer un torrent qu’en le dénaturant en canal.

Quel souffle, quelle maîtrise dans la technique du récit, quel soin dans le choix des mots ! Cinq personnages principaux qui ne s’intègrent jamais dans une seule et même fresque. Un temps très défini que Faulkner éclate à loisir en multiples ruptures, ici en un retour sur le passé, là en un temps évanescent vide de toute action, là encore en relatant un déluge de faits.
Un lieu refermé sur lui-même dont aucun des personnages principaux ne fait partie, plus ou moins étrangers, plus ou moins ambigus (une jeune fille enceinte, un pasteur révoqué, un blanc à sang noir, une blanche négrophile) et qui représentent, par leur différence, une potentielle menace pour l’ordre établi, dominé par le puritanisme et le racisme. Et qui dit racisme dit fantasmes, névroses, mépris, haine, violence.

Ce roman éblouissant, et je pèse mes mots, s’ouvre et se ferme presque avec candeur sur le paysage d’une jeune femme qui va traverser cette histoire d’une cruauté inouïe avec une douceur angélique, une innocence naïve, une sérénité que seule l’espérance peut donner. Mais, comme l’ont dit d’autres lecteurs, le personnage principal, et superbe, est ce jeune déraciné, Joe Christmas, dont le destin se scelle d’une certaine façon lors d’une scène initiatrice à l’orphelinat qui, avec quelques autres aléas de la vie, fera de cet enfant un homme d’une dureté inébranlable et d’une pureté tranchante.
Oui, un livre de ténèbres éblouissant.

Jlc - - 81 ans - 9 août 2008


"Chiennerie et abomination" 10 étoiles

Alors qu’on s’attache à suivre l’enthousiaste Lena Grove, une jeune femme enceinte qui se rend à pied à Jefferson pour y rejoindre l’homme qui l’a abandonnée, Faulkner recentre le roman sur Joe Christmas, dont nous apprenons l’histoire par de multiples retours en arrière. Le récit de sa vie ne correspond pratiquement jamais au moment de la narration. Car, orphelin de père et de mère, Christmas est, depuis toujours, prisonnier du passé, comme le sont souvent les personnages des romans de Faulkner.
Christmas est un noir blanc au « sang noir » mêlé de « sang blanc », expressions dont on mesure l’absurdité. Pourtant la réalité de cette « tache », pour reprendre le titre du livre de Philip Roth, n’est attestée que par des on-dit, ce dont personne ne se préoccupe. Sans doute chacun s’accorde-t-il à reconnaître dans le bien nommé « Christmas » le noir qui prendra sur lui tous les péchés du monde.
Il accomplit un destin, tragique et violent, programmé bien avant sa naissance. Ainsi, dans un passage où il s’enfuit, après avoir échangé ses chaussures contre celles d’un noir, il se voit « enfin poursuivi lui-même par les hommes blancs jusque dans le gouffre noir qui attendait, qui s’efforçait, depuis trente ans, de l’engloutir et dans lequel il venait de pénétrer enfin, portant autour de ses chevilles la jauge précise et indestructible de cette noire marée montante. »
Christmas n’existe finalement que pour expier la violence des hommes (de son grand père et de son père adoptif) ou la « chiennerie » des femmes (de sa mère et de ses maîtresses), dans ce monde haineux et débauché mais puritain.
Quant à Léna, elle réapparaît dans les derniers chapitres du livre et accouche d’un enfant sans père. Mais elle poursuit sa route et apporte une note d’espoir - me semble-t-il - à la fin de ce roman poignant. Heureux les simples d’esprit !
Un livre magnifique du point de vue de l’écriture, de la construction et des thèmes abordés.

Avada - - - ans - 2 avril 2008


Mon livre préféré de Faulkner 9 étoiles

Un gros livre, mais qui se lit tellement bien. J'avais auparavant été un peu déçue par Faulkner avec Sanctuaire et Le bruit et La fureur, mais Lumière d'août m'a réconciliée avec l'auteur. Mon livre préféré de Faulkner. Sans conteste.

Janiejones - Montmagny - 39 ans - 9 mai 2007


Un des meilleurs livres de Faulkner ! 10 étoiles

Selon moi, je le classe parmi ses chefs-d'oeuvre comme "Le bruit et la fureur", "Tandis que j'agonise", "Sanctuaire" et "Requiem pour une nonne" Toujours ce sud étouffant, oppressant, à en faire exploser toutes les passions ! Elles existent tout autant ailleurs, mais s'y déchaînent moins vite. La plus grande pauvreté de cette région y était aussi pour quelque chose. Chaque personnage a son poids dans l'histoire, mais aussi sur le dos.
Faulkner n'est pas facile à lire, mais quel plaisir il nous donne au fil des lignes !... Un des plus grands écrivains américains du XXième et du monde !...

Jules - Bruxelles - 80 ans - 27 avril 2003