Kinderzimmer
de Valentine Goby

critiqué par TRIEB, le 1 août 2013
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans)


La note:  étoiles
LA CHAMBRE DES NOURRISSONS : KINDERZIMMER
Comment écrire sur la déportation, cet épisode tragique de l’histoire de la seconde guerre mondiale, sujet de maints ouvrages d’historiens et d’anciens déportés regroupés sous le nom de littérature concentrationnaire ?

En dévoilant, par la fiction romanesque, un aspect peu connu de la vie des camps : la naissance de bébés dans les camps de concentration nazis.
En 1944, Ravensbrück est majoritairement un camp de femmes ; il compte plus de quarante mille détenues. Mila, femme travaillant dans une librairie d’édition musicale, est détenue à Ravensbrück, elle a été dénoncée par un mouchard et déportée.
La première partie du roman décrit, avec une précision digne d’une historienne, la vie dans le camp, la cruauté des Schwester, des Aufseherin (gardiennes et surveillantes) vis-à vis des déportées. Valentine Goby décrit le supplice lors de l’Appel, qui peut durer plusieurs heures sous un froid insupportable, dans des tenues les plus légères : « C’est le moment où tes pupilles roulent comme des yeux de mouches. Voir. Mesurer l’espace. Bouger les pupilles d’un coin à l’autre de l’œil et de haut en bas sans remuer la tête, sans rien activer du reste du corps qui doit être immobile, ont dit les Françaises : faire la stèle. »
Le Revier, infirmerie du camp, est en réalité une antichambre de la mort. Pourtant, Mila, avec l’aide d’autres déportées, Lisette, Georgette, Teresa, s’accroche au présent, à l’espoir. Pas celui d’être libérée par les forces occidentales ou soviétiques, car elle juge cette perspective chimérique, peu crédible .Mila a appris peu de temps après son arrivée au camp qu’elle était enceinte. Elle fera tout pour préserver, dans toute la mesure du possible, sa santé pendant la grossesse : ses compagnes subtilisent du lait, des médicaments pour la faire tenir, pour éviter au nourrisson une mort certaine dès sa naissance.

La raison qu’invoque ses compagnes de déportation pour l’aider, c’est l’utilité, l’attachement au présent, des instants de vie arrachés à la mort omniprésente dans ce lieu de cruauté et de barbarie. Ainsi Mila objecte-t-elle à Adèle, en proie aux rêves les plus insensés : « Le présent te sauve de l’idée du pire. »
Malgré tout, l’enfant de Mila naît dans une Kinderzimmer, littéralement la chambre des enfants, et par extension la chambre des nourrissons. Quelques semaines, plus tard, son enfant décède, par suite de malnutrition, de privations, du manque d’hygiène la plus élémentaire, du fait des épidémies qui ravagent le camp. Une autre détenue, russe, lui propose alors d’adopter son fils et de la déclarer comme son propre enfant : il se nommera James-Sacha, Sacha étant le prénom d’origine de ce nouveau né.

Ce roman illustre une volonté : celle, pour ces détenues, de considérer le camp comme un lieu de vie quasi- ordinaire, continuer à apprendre, à chanter, à mettre au monde des enfants. Le camp devient une partie d’elles-mêmes, il cesse d’être cette entité de barbarie hors du monde, hors des mœurs communes. On doit constater aussi à la lecture de ce roman la parfaite connaissance que possède Valentine Goby de cette période, elle qui n’est ni ancienne déportée, ni historienne de la Déportation. Ce roman fera date, il va marquer la rentrée littéraire et constituera très probablement une référence de poids dans ce domaine : l’apport de la littérature face à des ignorances historiques.
"Tu perds seulement quand tu abandonnes... " 8 étoiles

Valentine Goby (1974- ) est une romancière française.
Kinderzimmer est paru en 2013 (Actes Sud) et a reçu, notamment, le prix des libraires.

Ravensbruck était principalement un camp de femmes déportées politiques.
Tout comme les autres camps de concentration nazis, l'objectif final était la mort, par le travail, la maladie ou les chambres à gaz.
Il n'existe que très peu d'archives sur ce camp et seuls les témoignages de survivants ont permis de reconstituer les parcours de vie (...) des prisonniers.
De nombreuses femmes sont arrivées enceintes à Ravensbruck, y ont accouché et donné naissance à des enfants à l'espérance de vie limitée.
La "Kinderzimmer" (Chambre des enfants) est le lieu ou ces femmes vont tenter une course contre la mort annoncée. Prolonger la vie de leur bébé d'une journée, d'une semaine, d'un mois....

Valentine GOBY apporte un incroyable témoignage sur cette période (1944 -45 à Ravensbruck, la libération et le retour en France) en suivant Suzanne Langlois (Mila à Ravensbruck) de son internement jusqu'à son retour à PARIS.

Un roman éprouvant, une descente aux enfers comme on peut difficilement l'imaginer.
La vie de femmes délestées de toute humanité. Survivre à n'importe quel prix pour atteindre la prochaine seconde, la prochaine minute, le lendemain....
Et tenter de mener ce même combat pour son enfant.
On apprend relativement peu de choses nouvelles sur les camps. Cette Kinderzimmer vient noircir le tableau quant à la négation des vies humaines innocentes par les nazis.
Une lecture intense qui reste imprimée au plus profond de nous-même.

Frunny - PARIS - 59 ans - 21 octobre 2017


écrire ce qui fut... 10 étoiles

raconter... laisser une trace de ce qui fut... Valentine Goby, en s'appuyant sur ce que lui contèrent des déportées de Ravensbrück restitue cette lutte pour la survie dans un monde où le temps ne se conjugue qu'au présent... sans verser dans le pathos, juste par petites touches...
Un très beau livre, une œuvre qui vous saisit, vous happe... un grand livre.

Deinos - - 62 ans - 17 janvier 2016


Sous l'angle de la vie. 8 étoiles

Valentine Goby a su trouver le ton juste pour donner à son histoire toute sa force.
L'univers des femmes dans l'horreur des camps et ce côté souvent oublié : leurs enfants.
Des mots à leur place, des phrases simples et courtes et beaucoup de sobriété.

Monocle - tournai - 64 ans - 6 novembre 2015


Trouver les mots pour le dire 9 étoiles

Valentine Goby, avec ce livre à succès, nous offre un nouveau livre sur la tentative de survie dans un camp de concentration mais pas un livre de plus, un livre différent, un livre qui ne cherche pas seulement à témoigner mais un livre qui, par la fiction, essaie de recréer les vides laissés béants par la mémoire des témoins. Un livre qui pousse des portes qui jusque là n’avaient été qu’entrouvertes, on savait qu’il y avait eu des enfants dans les camps de déportation mais on connaissait assez mal leur vie et surtout leur mort, tous sont presque morts avant l’âge fatidique des trois mois. Un livre sur un sujet méconnu mais surtout un livre d’une énorme sensibilité, d’un grand humanisme exprimé en creux à travers l’odieuse inhumanité du monde concentrationnaire, la négation de la vie, la destruction de la personnalité, l’abolition de l’être en temps que personne pensante pour en faire une bête de somme appelée à être exterminée quand elle ne sera plus assez solide pour travailler.

En s’appuyant sur la vie de femmes ayant été effectivement déportées à Ravensbrück, Valentine Goby reconstitue l’extraordinaire lutte de ces femmes pour se lever chaque matin en espérant vivre un jour de plus. Mila, jeune résistante française déportée après avoir été dénoncée est le centre de ce récit, elle porte les témoignages que l’auteure a pu entendre ou lire et les bouts de fiction qu’elle a dû inventer pour donner vie (dans ce contexte, vie est un mot usurpé, il conviendrait mieux de parler de survie ou de marche vers la mort) à ses personnages. Mais, en arrivant dans le camp, Mila découvre vite qu’elle est enceinte et que c’est un motif de mort immédiate. Elle doit cacher son état puis son bébé avec l’aide de toute une bande de femmes, parfois très jeunes, qui constituent un chaîne de solidarité en prenant des risques incroyables pour chaparder des petites parcelles dans le presque rien dont elles disposent ou dans l’abondance qui leur est confiée au travail. C’est à partir de ce témoignage réel que Valentine peut pousser la porte de cette fameuse Kinderzimmer si méconnue jusqu’à présent.

Primo Levi, Imre Kertesz et d’autres encore ont témoigné froidement en énonçant des faits, en dressant des descriptions et des portraits sans jamais livrer leurs sentiments ni leur avis, espérant ainsi rester crédibles et être entendus. Valentine n’a plus aujourd’hui le risque de ne pas être crue, elle a pu se livrer à l’exercice de la reconstitution, ce qu’elle fait remarquablement. Le risque était de trop en faire, de laisser son pathos déborder dans ses pages, de jouer sur la corde sensible, de provoquer la haine mais elle a su par son regard, son langage, sa sensibilité, son courage affronter l’horreur et la décrire dans toute son atrocité en faisant vivre ces femmes au cœur de cet enfer comme des êtres humains moyens avec toute la panoplie des forces et des faiblesses existant dans notre monde.

Comme ces héroïnes, Valentine a dû affronter les mots car son langage, comme le nôtre, comme celui de des déportés ne comporte pas de termes pour dire ce qui va arriver à celui ou celle qui est chargé dans un wagon à bestiaux pour partir en Allemagne. Elles savaient qu’on pouvait être déporté en Allemagne mais elles ne savaient pas ce que signifiait le mot « déportée » et l’Allemagne c’est grand, elles ignoraient où on les conduisait, leur destination, la durée du voyage, où elles allaient échoir. Elles ont découvert le mot « Ravensbrück » en arrivant à destination, comme elles ont découvert tout un langage nouveau qu’elles ne comprenaient pas, un langage phonétique composé avec des mots allemands déformés et un peu de toutes les langues pratiquées par les détenues arrivées avant elles, surtout des Polonaises. Elles n’avaient pas de mots non plus pour décrire toutes les atrocités qu’elles devaient subir, il n’y a pas de mots pour dire les choses qu’on pense impossible, elles ont dû inventer, avec celles qui les ont précédées, un vocabulaire de l’horreur. Il fallait créer ce dictionnaire virtuel de l’enfer pour pouvoir commencer à survivre, organiser un semblant de vie, structurer une nouvelle société inconnue jusqu’alors de l’humanité, un monde en équilibre entre la vie et la mort, un monde de morts vivants mais un monde qui lutte, qui lutte pour vivre un jour de plus, qui dit, qui raconte pour qu’un jour quelques-uns puissent témoigner. Mais pour témoigner, être entendue, être crue, il faut trouver des mots que ceux qui n’y était pas peuvent comprendre avec toute l’horreur qu’ils sont censés porter.

Valentine a su, elle a pu transmettre, témoigner ce que ces femmes ont vécu, souvent à en mourir parce qu’elle a écouté, entendu, compris celles qui ont parlé, celles qui ont écrit. Elle su choisir les bons angles pour que son regard soit celui de nos yeux, de nos cœurs, de nos tripes. Elle a su construire son récit, son texte, ses chapitres, ses paragraphes, ses phrases pour qu’on la croie, qu’on voit vivre, souffrir et mourir ces femmes. Son écriture riche, dense, intense nous a conduit au cœur de l’horreur, de l’inhumanité, sans qu’on lâche le livre, ces mots étaient à la limite du supportable, mais il était impossible d’abandonner les femmes qu’elle faisait revivre.

« Le camp, est une régression vers le rien, le néant, tout est à réapprendre, tout est à oublier ».

Débézed - Besançon - 77 ans - 9 octobre 2015


Poignant destin... 10 étoiles

Valentine Goby s'est lancée dans le thème délicat de la déportation, thème maintes fois abordé par des témoins de l'époque ou par des historiens, où toutes les émotions semblaient avoir déjà été décrites dans des ouvrages précédents. Mais là où elle a trouvé son originalité, c'est de traiter le sujet par la facette moins connue des camps de concentration pour les femmes et des enfants nés dans ces lieux. Dans ce court roman, elle nous raconte le destin d'une femme Mila, qui par sa jeunesse, est complètement étrangère aux choses de la vie et encore plus à la grossesse et qui se retrouve enfermée avec des milliers de femmes de tous les pays. Malgré la barrière de la langue et des cultures, toutes ces femmes vont créer une micro communauté avec ses règles et sa solidarité dans un endroit pourtant dépourvu de toute humanité. Et l'enfant de Mila va devenir son objectif, sa raison de se battre pour tenir malgré les circonstances.
Au premier contact, l'écriture hachée et constituée de courtes phrases de Valentine Goby, m'a semblé difficile à apprivoiser, mais passé les premières pages, son style particulier m'a semblé totalement dans le ton du sujet, comme une musique parfaitement adaptée à l'histoire. Sans prendre parti et tomber dans le mélodrame, elle nous narre le quotidien tragique de ces victimes de la guerre, et nous procure avec finesse une émotion extrêmement poignante.

Killing79 - Chamalieres - 45 ans - 20 octobre 2013


Puisqu'il faut bien naître quelque part. 9 étoiles

Qu'il doit être difficile de se lancer dans l'écriture d'un roman traitant de la déportation et de l'extermination tant ce thème a été maintes fois exploité donnant des textes d'une telle violence qu'il est impossible d'égaler leur force.
Valentine Goby a su déjouer ce piège en situant son Kinderzimmer dans le sordide camp de femmes de Ravensbrück. Le personnage central s'aperçoit , une fois interné, qu'elle est enceinte... elle qui ne connait pas la vie, qui connait à peine son corps et encore moins la manière dont on s'occupe d'un enfant.
Comment peut-on donner la vie dans un endroit où tout n'est que mort et désolation ?
A quoi tient la volonté de survie?
Très beau roman, très émouvant j'espère que Kinderzimmer aura une belle vie littéraire et que par son existence il redonnera la place de ces femmes dans l'Histoire.

Ndeprez - - 48 ans - 9 septembre 2013