La perfection du tir
de Mathias Enard

critiqué par Provisette1, le 31 juillet 2013
( - 12 ans)


La note:  étoiles
Terriblement violent...et envoûtant!
Mathias Enard, auteur de plusieurs livres souvent primés dont "Rue des voleurs" qui fut, pour moi, une très belle découverte de son talent, nous emporte, à travers ce roman, dans le très sombre cheminement personnel de son "héros", en quête incessante de la "perfection" de son tir, étant combattant d'une guerre civile dont on ne connaît ni le lieu, ni l'époque exacts, hormis qu'elle se déroule au Moyen-Orient, "un métier difficile qui demande précision et concentration", ou on "libère un chien de métal qui vient frapper un point de percussion qui enflamme une poudre qui propulse un projectile jusqu'à douze cents mètres et qui vous tue.Ou pas... Soit on tire, soit on ne tire pas. Il faut choisir ou alors on est un lâche."

Un combattant qui vit au jour le jour de ce "plaisir immense", "...la tension, la force, le désir, derrière l'arme" mais, également, un homme qui affronte, au quotidien, la dégénérescence, la folie de sa mère jusqu'à l'instant où il nous dira "la tendresse dans ses yeux" mère pour laquelle il s'attachera les soins de Myrna, si jeune, "l'air d'une enfant" et qu'il désirera jusqu'au point où "des fissures orangées dans ma conscience, des bouillonnements contradictoires qui provoquaient des raz-de-marée d'émotion et de colère et ou (il) sentai(s)t que Myrna faisait tout voler en éclats, dans un va-et-vient obscène de la vie vers la mort."...

Un "héros" combattant aux mots si durs, si violents, si cruels qui nous sont souffrance tout au long du récit, ou l'on s'oblige à suspendre notre lecture tant l'on sait que, oui, ces mots "reflètent la cruauté d'un monde abandonné au mal"..., des vérités effroyables... mais un homme terriblement "humain" aussi qui nous "dira": "Elles sont là, les blessures cachées qui nous poussent irrémédiablement vers le gouffre, elles ont grandi comme un cancer au coeur de la mémoire et de la conscience, et rien ne peut les guérir. On les aperçoit quelque temps avant la fin, on comprend le moment où on les a reçues, on entrevoit leur effet souterrain sur notre trajectoire, le destin qu'elles tissent et qu'on approuve sans le savoir"...

...Et l'on s'attache, progressivement, non au violent combattant aux tirs parfois "gratuits" sur quelque cible passante mais à cet homme dont il nous apparaît au fil du récit que c'est cette guerre "qui provoque ces minuscules fêlures", un homme qui s'avoue: "j'ai perdu toutes mes batailles depuis toujours et il n'y a plus personne."

Est-ce cela le véritable talent d'un écrivain?
Savoir nous ensorceler par la puissance de son écriture, une langue fine, subtile, séduisante tout en nous narrant, souvent, des violences inouïes?

C'est tout l'art de Mathias Enard que j'ai retrouvé dans ce livre, auteur que j'apprécie vraiment, vraiment beaucoup.

(en aparté: un roman qui m'a rappelé, souvent, certains passages des livres d'Albert Cossery.)